"La censure veut faire taire" (Alesh, rappeur congolais)
En 2021, Alesh a sorti son second album "Mongogo" (voix en Lingala). Comme à son habitude, l'artiste rappeur n'hésite pas à critiquer la situation socio-économique de son pays, la RDC. Connu pour ses textes engagés, Alesh a plusieurs fois eu des ennuis avec le pouvoir à l'époque de Joseph Kabila. Aujourd'hui, il n'hésite pas à interpeller les autorités congolaises. Wendy Bashi l'a rencontré à Kinshasa. Dans cet entretien, celui qui se vante d'allier à la fois la danse du cerveau et celle de la hanche, il revient sur le statut d'artiste, sur la commission de censure ainsi que sur son parcours.
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DW : Bonjour, merci de nous accorder cet entretien. Pouvez-vous vous présenter à nos auditeurs ou nos internautes qui ne vous connaissent pas encore?
Ben voilà, je suis Alesh. Artiste, chanteur à la base, et rappeur. Je me définis aujourd'hui comme vocaliste parce que je me permet de m'ouvrir, de faire de la talakou et tout ce qui me passe par la tête. Je suis également un opérateur culturel. Je suis basé à Kinshasa, mais je travaille entre Kinshasa et le reste du monde.
DW: Vous êtes aussi connu pour votre engagement au niveau musical. On sait qu'il y a quelques années, vous avez eu aussi des problèmes avec le pouvoir en place. Est-ce que vous pouvez brièvement revenir sur cet épisode de votre carrière?
Etre un artiste qui aborde les thématiques sociopolitiques issues de la RDC, déjà, ce n'est pas monnaie courante.
La plupart des artistes, tous les grands frères qui nous ont inspirés, ceux qui sont beaucoup plus célèbres que nous, ont fait le choix, pour préserver leurs intérêts économiques, de ne jamais aborder les questions politiques. Pourtant, moi, je me dis en tant que célébrité, on ne vit pas dans des tours d'ivoire. On vit dans des communautés qui traversent des challenges terribles, même pour les besoins les plus basiques, tels que l'obtention d'un repas, l'accès à l'eau potable et l'accès à l'électricité, l'accès aux routes de desserte agricole, etc.
Et moi, je ne peux pas me laisser aveugler par ma célébrité et l'argent que je gagne. Du coup, moi, je m'étais dit, du fait d'avoir grandi dans l'est de la République, du fait d'avoir été témoin de plusieurs guerres, je sais combien certaines décisions qui paraissent anodines politiquement ici dans la capitale Kinshasa, peuvent affecter concrètement des vies.
Du coup, moi, j'ai fait ce choix-là. Et vous savez qu'à partir du moment où l'ancienne administration était arrivée au bout de son deuxième terme, cela veut dire qu'il n'y avait pas possibilité de renouvellement de mandat pour l'ex-président de la République. Il y a eu beaucoup de tentatives de dévier les textes démocratiques qui ont été adoptés.
Eh bien moi, j'ai pris mon courage à deux mains pour me lever et chanter en chansons. Toutes les questions, les interrogations et les plaintes qui se passent à basse voix. Comme vous savez, ma musique est très dansante. Je sais que le Congolais aime danser. Du coup, ma stratégie, c'est de rallier la danse de la hanche à la danse du cerveau.
DW : Aujourd'hui, la situation a un peu évolué. Ou est-ce que vous pensez que les choses sont restées pareilles et que vous allez continuer à dénoncer ce qui se passe?
Sincèrement, j'avoue qu'il y a un peu de bonne foi. Il y a un peu de bonne volonté, sauf que la bonne volonté à elle seule ne suffit pas. Donc, aujourd'hui, sincèrement, concrètement, les choses sont pareilles.
DW : Justement, vous dites que c'est impossible de vous taire, mais parfois, on essaye de vous faire taire. La commission de censure existe bel et bien en RDC et s'en prend à des titres, des chansons, des artistes comme les vôtres. On a des exemples tout récents avec MPR ou encore Bob Elvis. Comment vous positionnez-vous par rapport à la censure ici en RDC?
Il faut dire que la manière la plus douce de nous faire taire, c'est la commission de censure. Nous, on a connu pire. Je me rappelle en 2014, je donnais un concert à la poste de Kisangani. J'ai dû arrêter mon concert à la septième chanson, puisqu'il y avait des agents de sécurité qui étaient venus carrément me prendre par la force sur scène. Ici, je vous dis pas le nombre de nuits que j’ai passées dans les rues parce que j'avais reçu un coup de fil en me disant : « Ecoute, ils ont prévu de passer te prendre ce soir à 23h, ne passent pas de nuit chez toi ».
Bref, pour moi, la commission de censure, c'est la manière la plus douce. Je reste très déçu de voir qu'on veuille avoir un pays démocratique et qu’en même temps, on décide de maintenir la Commission nationale de censure. C'est des deux poids, deux mesures. Ce sont des décisions qui sont prises de manière très opaque pour faire taire tous les textes qui sont engagés. Si vous avez un point de vue qui va à l'encontre de ce que prône le pouvoir en place, on fait de vous une cible, etc. Bref, je suis contre cette commission interne.
DW : La dernière question en termes de valorisation de politique culturelle en RDC, selon vous, qu'est ce qui pourrait être mis en place pour que les arts et les artistes congolais soient valorisés dans leur propre pays?
Déjà, reconnaître le statut d'artiste. A part sur nos passeports ou c’est écrit « Emploi : artiste », le statut d'artiste n'est même pas un statut reconnu en RDC. On oublie que sans cette culture, sans nous, il est très difficile de parler d'identité congolaise. Nous sommes ceux qui maintiennent cette identité, qui la véhiculent, qui la propagent. Mais non. Aujourd'hui, quand on vous parle des plus grosses richesses de la RDC, on va parler de l'uranium, du cobalt, etc. Une richesse factice dont on n'a jamais bénéficié. Il n’y a que des cercles privés qui bénéficient réellement de cette richesse-là, mais parlons de de la musique, de l'art, de la culture. Qui est-ce qu'on ne retrouve pas ici comme richesse? Et combien de fois ceux qui sont dans ces domaines-là ont vendu positivement l'image de ce pays à l'extérieur? Voilà!
DW : Merci.
Merci à vous.