Il faudrait que 400.000 personnes viennent s'installer chaque année en Allemagne pour compenser le manque de main d'œuvre. En 2021, il n'y en a eu que 40.000.
Mara, 30 ans, en fait justement partie. Après des études au Royaume-Uni et quelques années d'expérience professionnelle dans son pays, la jeune femme a décroché un emploi bien rémunéré à Berlin dans le domaine de la communication et réalisé son rêve de venir en Allemagne.
"L'Allemagne a une bonne réputation. C'est un pays sûr, avec de bonnes conditions de travail et un meilleur niveau de vie qu'en Roumanie. L'économie allemande est connue pour être le moteur de l'Europe. J'ai pu 'expérimenter' différentes cultures, mais je trouve que l'Allemagne, et surtout Berlin, est le compromis parfait entre l'Est et l'Ouest, et c'est pourquoi j'ai décidé de vivre ici".
Rencontre avec la bureaucratie allemande
Mara s'est donc installée à Berlin il y a un an, mais l'euphorie a rapidement cédé la place à la désillusion...
"Dans mon cas, les principaux problèmes ont été d'ordre bureaucratique. Par exemple prendre rendez-vous pour s'inscrire à la ville... Ou bien ouvrir un compte bancaire, ce qui m'a pris deux semaines. Un autre problème a été de renseigner la Schufa, pour justifier ma solvabilité, ce qui est indispensable pour obtenir un logement. Mais le plus grand défi a été de trouver un appartement".
Toutes ces démarches, Mara a dû les effectuer en allemand... Et cela a aussi été un gros problème. La jeune femme avait suivi un cours d'allemand à Bucarest, mais dans son travail, elle communique essentiellement en anglais. Résultat : son niveau d'allemand ne lui permet même pas de mener une conversation.
Autre difficulté rencontrée, la solitude : depuis la fin de la pandémie de Covid-19, l'entreprise de Mara a maintenu son personnel en télétravail. Du coup, elle ne voit ses collègues que par écran interposé. Aujourd'hui, elle souffre du manque d'intégration sociale.
Discriminations et manque de reconnaissance
Le cas de Mara n'est pas isolé, si l'on en croit une étude menée auprès de 1900 travailleurs étrangers, par l'Institut de recherche économique appliquée de Tübingen, pour le compte de l'Agence pour l'Emploi.
Parmi les travailleurs originaires de pays non européens, deux sur trois déclarent avoir subi des discriminations en raison de leur origine. Ils se plaignent du fait que leurs qualifications professionnelles ne sont pas reconnues à leur juste valeur en Allemagne. Et aussi de la rigidité du droit de séjour allemand.
Invitée à une conférence du groupe parlementaire SPD au Bundestag, Naika Foroutan, chercheuse sur la migration et professeure à l'université Humboldt de Berlin, a confirmé que ces difficultés accumulées découragent de nombreux travailleurs étrangers.
"C'est tout simplement une réalité statistique : ce sont justement les groupes que l'on recrute de manière ciblée qui, peu de temps après, disent qu'ils ne veulent pas rester ici."
La chercheuse appelle les Allemands à "changer d'état d'esprit" pour renforcer la culture de l'accueil. Au gouvernement, elle recommande de mettre en place des mesures pour lutter contre la discrimination.
Une réforme à l'étude pour faciliter l'immigration
Car l'Allemagne a désespérément besoin de main d'œuvre.
Selon un sondage mené en janvier par la Chambre allemande de Commerce et d'Industrie, la moitié des entreprises allemandes ne trouvent pas suffisamment de personnel qualifié. Ce sont environ 2 millions de postes qui restent vacants - tendance à la hausse !
Pratiquement tous les secteurs sont concernés, de l'industrie aux services, en passant par la santé et même l'administration !
Conscient du problème, le gouvernement allemand planche actuellement sur une réforme complète de sa législation sur l'immigration. Parmi les mesures à l'étude figurent une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers, la simplification du droit de séjour et du regroupement familial, ainsi qu'un accès plus rapide à la nationalité allemande.
Ce dernier point divise au sein de la coalition gouvernementale, les Libéraux du FDP sont réticents. Mais il semble qu'ils ne sont pas les seuls : selon un sondage réalisé par l'institut YouGov pour l'agence de presse DPA, 59% des citoyens allemands sont opposés à une naturalisation plus rapide des étrangers !
La société allemande a du mal à accepter les changements, déplore Naika Foroutan. Et pourtant le temps presse. L'Allemagne n'est pas la seule à chercher à recruter du personnel qualifié, prévient la chercheuse :
"Alors que nous en sommes juste à nous organiser et à réfléchir au fait que nous avons besoin de personnes, d'autres pays comme la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Canada et l'Australie le font déjà. Mais ils ne sont pas non plus les seuls. Il nous échappe complètement que l'Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats font des campagnes publicitaires massives, que les Philippines ne laissent plus partir leurs citoyens et que les pays d'Afrique essaient en ce moment fortement de retenir les gens".
Selon une récente étude de l'OCDE, l'Allemagne a nettement perdu de son attractivité et n'arrive plus qu'en 15ème position sur les 38 pays de l'OCDE. En 2019, elle était encore 12ème.
Mara, la jeune Roumaine, ne s'imagine plus rester jusqu'à la retraite en Allemagne. Elle se laisse encore un ou deux ans à Berlin, et puis elle ira chercher ailleurs un meilleur endroit où vivre.
Contribution de Sabine Kinkartz
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Dans l’Etat de Sinaloa situé dans le nord du Mexique, les indigènes Yoreme-Mayo qui vivent dans la baie d’Ohuira se battent contre un géant pétrochimique européen.
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C'est un reportage de Gwendolina Duval.