Au-delà des Springboks, le rugby africain se cherche encore
2 juillet 2023En septembre prochain, l'Afrique du Sud défendra son titre de champion du monde de rugby en France. Trois triomphes en Coupe du monde, dont la victoire décisive à domicile en 1995, après la fin de l'apartheid et alors que le rugby se professionnalisait, ont consolidé sa place dans l'histoire de ce sport.
Mais le succès des Springboks les a séparés du reste du continent. Alors que le rugby à XV s'efforce de s'adapter au paysage de plus en plus coûteux du sport professionnel mondial, son avenir en Afrique se joue actuellement.
En mars 2023, Herbert Mensah a été élu premier président anglophone de Rugby Afrique. Le Ghanéen a étudié au Royaume-Uni dans les années 1980 et a une expérience d'entrepreneur dans le secteur des télécommunications.
Le sens des affaires de cet orateur charismatique et ses liens étroits avec la population locale l'ont aidé à porter le rugby ghanéen à un autre niveau au cours des dernières années.
"Je veux maintenant faire des affaires avec la France et l'Europe mais je veux d'abord faire des affaires pour l'Afrique", a-t-il expliqué á la DW. "Je veux par exemple, s'asseoir avec Mark Alexander, le président du rugby sud-africain, et lui dire comment faire fonctionner les choses. Les gens doivent comprendre que vous nous avez peut-être considérés de cette manière dans le passé, mais pas à l'avenir".
Un nouveau président qui a la cote
Mensah n'est pas en poste depuis longtemps, mais il voit déjà des résultats dans les pays qui ont adhéré à son plan. Âgé de 63 ans, il s'emploie à régler les problèmes de gouvernance au Cameroun et fait pression pour que les gouvernements soutiennent davantage le rugby dans les écoles, les tournois régionaux et les infrastructures au Zimbabwe, au Kenya et au Maroc.
"Vous ne pouvez pas avoir des problèmes, en créer et dire aux gens : c'est parce que je suis en Afrique ou parce que je suis africain, c'est comme ça ici. Non, pour moi il n'y a pas de on fait comme ça ici ou là. Il y a une manière globale de faire. Et nous devons nous joindre à cette norme mondiale."
La Côte d'Ivoire, hôte de la Coupe d'Afrique des nations (AFCON) de football en 2023, a déjà accepté de mettre ses stades de football à la disposition du rugby.
À Accra, au Ghana, un stade dédié au rugby est déjà en construction, tandis que le gouvernement kenyan a déjà promis et alloué un terrain pour la construction d'un stade. Herbert Mensah s'efforce de faire en sorte que l'Afrique considère le sport comme une grande entreprise et il a déjà obtenu le soutien de nombreux dirigeants de rugby sur le continent.
"C'est un visionnaire", a déclaré Sean Irish, président de la Fédération botswanaise de rugby, à la DW. "Il a la passion et la capacité d'aller dans les hautes sphères et de faire avancer le sport".
World Rugby en Afrique
Le rugby africain est membre à part entière de World Rugby, la grande instance mondiale du rugby, mais lorsqu'il s'agit de financement, c'est une autre histoire.
Alors que l'instance dirigeante du sport mondial verse environ 5 millions de dollars (4,5 millions d'euros) à chaque nation européenne de rugby pour promouvoir le sport, elle ne verse que 2 millions de dollars à l'ensemble du continent africain hors Afrique du Sud. Cela équivaut à environ 55.000 dollars en moyenne pour chacune des 36 nations de rugby en Afrique. Le message est clair.
"Nous nous battrons pour nos droits", promet Herbert Mensah. "Le système financier mis en place pour récompenser les pays ne fonctionne pas en faveur de l'Afrique. Je me battrai toute la journée avec World Rugby à ce sujet. Nous chercherons à obtenir davantage de fonds propres."
Le Botswana est un des pays qui bénéficieraient de plus d'argent avec un nouveau système, mais Sean Irish n'est pas optimiste.
"World Rugby nous donne 43.000 dollars par an, mais ce qu'ils attendent de moi coûte 70.000 dollars", explique-t-il à DW. "World Rugby ne va pas donner plus d'argent à l'Afrique. Ils ne comprennent pas l'Afrique ou le potentiel de l'Afrique."
Malgré le manque de financement, le Botswana avait réalisé d'énormes progrès avant la pandémie, en formant près de 100 professeurs d'école par an à l'entraînement au rugby et en augmentant le nombre d'écoles pratiquant ce sport. La pandémie a mis fin à toute activité sportive dans le pays pendant deux ans, et son retour a été lent et contesté.
L'histoire est similaire au Kenya. Pas plus tard qu'en 2009, l'équipe kenyane de rugby à sept (qui joue une version plus courte du jeu avec sept joueurs par équipe au lieu de 15) a battu les géants du rugby que sont les Néo-Zélandais. Aujourd'hui, elle se bat pour revenir dans les World Series.
Le président de Kenya Rugby, Sasha Mutai, travaille sur des projets de création d'une ligue professionnelle composée de six équipes et soutenue par des propriétaires privés.
"Il faut être ambitieux car le talent est là", explique le dirigeant à la DW.
Les pays anglophones ont-ils un avantage ?
Pour galvaniser ces talents, Herbert Mensah doit notamment arriver à faire cohabiter les cultures francophone et anglophone de l'Afrique.
Rolande Boro, présidente de la Fédération de rugby du Burkina Faso, estime que les pays francophones d'Afrique ont plus de mal que leur homologues anglophones
"C'est un problème sérieux ; les pays francophones ont du mal à décoller", explique-t-elle à la DW, soulignant l'impact du rugby sud-africain sur ses voisins anglophones, comme la Namibie, habituée de la Coupe du monde et classée au 21e rang mondial, ou encore le Zimbabwe. "Il y a clairement eu un impact", assure-t-elle.
La présidente souligne que l'héritage rugbystique des deux cultures n'est pas le même, citant l'exemple du rugby qui fait partie des Jeux du Commonwealth mais qui n'est pas inclus dans les Jeux de la Francophonie, l'équivalent français.
En outre, d'un point de vue plus pratique, Rolande Boro souligne que des nations émergentes comme le Burkina Faso se sont concentrées avec succès sur le format "Sevens", plutôt que sur le jeu à XV, où les aspects techniques tels que les mêlées ou les sorties de touche sont plus difficiles à développer.
L'ancien international français Serge Betsen, né au Cameroun, reconnaît que les nombreux changements de règles dans le rugby à XV n'ont pas aidé, mais il pense que la différence entre les deux cultures est moins prononcée qu'il n'y paraît.
"Je ne pense pas qu'il y ait une différence entre les pays anglophones et francophones [en Afrique] en termes de rugby", explique le natif de Kumba au Cameroun à la DW.
"Le rugby est présent partout dans le monde."
Le paradis trouvé
Herbert Mensah, responsable de Rugby Afrique, souhaite utiliser les attraits naturels du continent pour contribuer au développement du jeu, en utilisant des paysages spectaculaires comme toile de fond d'un circuit "Sevens".
"En tant qu'Africains, nous avons dépassé le stade des terres arides, de la famine dans le désert et des coups d'État", explique-t-il. "Si, par exemple, nous avions un circuit Sevens qui comprenait l'île Maurice, un safari au Kenya, Kampala, les chutes Victoria, quelque part au Cap... La caméra pourrait faire un zoom sur ces paradis."
L'idée du dirigeant ressemble à un rêve, mais un rêve réalisable puisque non seulement le rugby à sept est un jeu moins compliqué, mais en tant que sport olympique, il est financé par différents canaux.
"Le rugby à sept est l'avenir du sport, car il exige moins d'investissements", explique Serge Betsen. "C'est une révolution, et les pays africains devraient adopter la dynamique olympique de ce sport. Le rugby à sept pourrait être une bonne fenêtre pour le développement du sport en Afrique."
La vision de Mensah est peut-être trop grandiose, le rugby sud-africain trop déconnecté du reste du continent, la contribution de World Rugby trop faible, mais tout cela n'a peut-être pas d'importance.
"En raison de ses valeurs, le rugby est le meilleur sport au monde", insiste Betsen, qui a créé des associations caritatives de rugby au Cameroun et au Mali. "Il rassemble les communautés, comme l'a fait Nelson Mandela en Afrique du Sud."
*Cet article, originellement publié en anglais, a eté traduit et édité par Sophie Serbini.