Idriss Déby menace de rétablir la cour martiale
5 juin 2019A la fin du mois de mai, les provinces du Sila et de l'Ouaddai, à l'est, ont enregistré plus d'une trentaine de morts dans des conflits liés à la transhumance. Des violences qui ont poussé le chef de l'Etat, Idriss Déby Itno, a brandir la menace d'un retour de la cour martiale pour mettre un terme à ce qu'il qualifie de "cruauté humaine".
Inquiétudes et questionnements
Une annonce qui a suscité des inquiétudes chez de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme. Dobian Assingar est le représentant au Tchad de la Fédération internationale des droits de l'homme, la FIDH, auprès de la CEMAC.
"Il y a toutes les juridictions compétentes pour juger des crimes au Tchad, donc je ne vois pas pourquoi encore réactiver la cour martiale. L'article 17 de la Constitution dispose clairement que la personne humaine est inviolable et on veut rétablir la cour martiale, ça fait désordre. Tous les jours que Dieu fait, les conflits inter-communautaires entre agricultures et éleveurs font des morts. Dans ces conditions, il faudrait que le président de la République sache que c'est peut-être la moitié des Tchadiens qu'il va passer par les armes."
Max Kemkoye est le président de l'Union pour le développement et le progrès (UDP), un parti d'opposition. Pour lui, cette situation est la conséquence de l'absence de l'autorité de l'Etat :
"Le recours à l'application de la loi martiale sous-entend qu'il s'agit d'un gouvernement incapable de faire appliquer la loi ou respecter la justice, ce qui traduit une absence de l'État qui doit recourir à des juridictions d'exception. Parce que c'est de ça qu'il s'agit. La loi martiale retire la possibilité du maintien de l'ordre public à la police pour la donner à l'armée et pour nous c'est tout simplement un recul."
Une mesure censée être provisoire
Mais pour Jean Bernard Padaré, chargé des affaires juridiques du Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir, le rétablissement de la cour martiale pourrait dissuader les auteurs des violences. Et dans tous les cas, ce serait une mesure provisoire.
"Le chef de l'Etat ne peut prendre une décision qui peut aller à l'encontre des intérêts de la nation. S'il avertit, c'est parce qu'il a constaté que du fait de ce conflit, la nation risque d'être en péril. Si la cour martiale peut permettre à ce qu'il y ait moins de perte en vies humaines, je pense qu'il vaut mieux la rétablir. Je sais que serait d'une certaine manière un recul mais est-ce qu'il vaut mieux sauver des vies humaines ou camper sur un principe qui en réalité produit des effets contraires ? Si le chef de l'Etat est amené à rétablir la cour martiale, ce sera provisoire et pour permettre à ce que ce genre de conflits cesse."
Rappelons que la cour martiale avait été mise en place en 1990 lors de l'arrivée au pouvoir du Mouvement patriotique du salut (MPS). Cette juridiction d'exception a prononcé à l'époque plusieurs condamnations à mort suivies d'exécutions.
Face à des critiques de nombreuses organisations de défense des droits humains nationales et internationales, elle a été supprimée en 1993 lors de la Conférence nationale souveraine.