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Aziz Mahamat Saleh : "Il y a des craintes sérieuses"

21 avril 2023

Des soldats soudanais se réfugient au Tchad et les civils affluent par dizaines de milliers dans le pays. Le Tchad, qui a annoncé la fermeture de sa frontière dès le début des combats, dit avoir ouvert un "couloir humanitaire" pour les personnes qui fuient. Mais N'Djaména a d'autres raisons de craindre un embrasement. Interview.

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Entre 10.000 à 20.000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, sont passés au Tchad voisin, annonçait le Haut-Commissariat de l'Onu pour les réfugiés (HCR) ce vendredi (21.04.2023). Le Tchad partage une frontière avec le Soudan qui s'étend sur plus de 1.000 km dans l'est du pays et jouxte le Darfour, dans l'ouest du Soudan, qui est souvent le théâtre de violences tribales, notamment provoquées par des disputes territoriales et des difficultés d'accès à l'eau.

Inquiet face à l'aggravation des tensions entre les troupes du général et chef de l'Etat de facto Abdel Fattah al-Burhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti",N'Djaména a annoncé la fermeture de la frontière dès le samedi 15 avril.

Cette crise est potentiellement dangereuse non seulement pour le Soudan mais aussi la région du Sahel, estime Aziz Mahamat Saleh, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement du Tchad. Dans cette interview, il revient sur la position officielle du Tchad face à ce conflit. 

Une crise humanitaire qui pointe à l'horizon

Le général Mahamat Idriss Deby Itno, président de la transition au Tchad en tenu militaire assiste à la clôture du dialogue national (Archives - N'Djaména, 08.10.2022)
Le président de la transition tchadienne Mahamat Idriss Déby est en partie issu d'une ethnie (Zaghawa) majoritaire au Darfour Image : Denis Sassou Gueipeur/AFP

Aziz Mahamat Saleh : La situation est vraiment regrettable. Le Soudan est un pays ami et frère du Tchad avec beaucoup d'intérêts communs. Donc voir que la capitale et d'autres provinces touchées, vraiment ça désole tout le peuple tchadien qui en appelle à la paix, à l'arrêt des combats et à ce que la transition soudanaise puisse reprendre son cours en invitant une fois de plus des belligérants à un arrêt immédiat des hostilités.

DW : Le Tchad a réagi depuis ce week-end en annonçant la fermeture de la frontière de plus de 1.000 kilomètres avec le Soudan. En quoi est-ce que la situation au Soudan représente un danger pour le Tchad ?

Aziz Mahamat Saleh : Oui, parce que d'abord, c'est un pays voisin avec plus de 1.500 kilomètres de frontière et donc beaucoup d'échanges commerciaux et de populations des deux côtés de la frontière. Donc cette situation de troubles qui n'est pas seulement à Khartoum mais aussi dans le Darfour, pourrait avoir des conséquences négatives.

Et surtout, nous craignons l'afflux de réfugiés qu'il faudra savoir gérer tout en sachant que le Tchad gère déjà plus de 500 000 réfugiés. Donc cela va encore augmenter la charge malgré nos difficultés en cette période de transition. Donc bien évidemment, il y a des craintes sérieuses.

DW : Monsieur le ministre, vous craignez donc pour votre pays, l'arrivée de réfugiés soudanais. On parle déjà de l'arrivée de 320 soldats de l'armée soudanaise qui se seraient réfugiés en territoire soudanais. Est-ce que vous confirmez cette information ?

Aziz Mahamat Saleh : Oui, effectivement, il y a des éléments qui ont traversé la frontière et il y a aussi un certain nombre de personnes déplacées et réfugiés dont on n'a pas encore le nombre exact, qui cherchent refuge. Et bien évidemment le Tchad,  terre d'hospitalité ne peut pas fermer sa frontière hermétiquement.

Donc le Tchad fera avec cela et en appelle à l'appui des partenaires internationaux pour justement le soutenir dans cette crise humanitaire qui pointe à l'horizon.

Le Tchad en contact avec les belligérants

Image combinée de Abdul Fattah Al-Burhan (gauche) et Mohamed Hamdan Dagalo, les deux acteurs qui s'affrontent au Soudan
Le différend entre les deux hommes forts du Soudan porte sur l'avenir des paramilitaires connus sous le nom "Forces de soutien rapide"Image : Bandar Algaloud/Mahmoud Hjaj/AA/picture alliance


DW : D'après certaines informations, le président du Mahamat Idriss Déby est en train de prendre des dispositions, y compris avec certains collaborateurs qui auraient des liens d'ailleurs aussi familiaux avec certains des acteurs de la crise soudanaise. Est-ce que vous le confirmez ?

Aziz Mahamat Saleh : Effectivement, vous savez, il y a déjà un mois, le chef de l’Etat a reçu à N’Djamena, tour à tour le président et le vice-président du Soudan. Les deux dirigeants actuels. Le Tchad, à travers son chef de l'Etat, assume sa responsabilité pleine et entière pour œuvrer pour que cette guerre s'arrête dans un premier temps et que le chemin de la transition soudanaise puisse être repris et permettre que la paix puisse revenir au Soudan.

DW : Il faut dire que la famille Déby est quelque part issue de l'ethnie Zaghawa qui est majoritaire au Darfour soudanais. Y a-t-il d'autres ténors de l'appareil militaire tchadien qui ont des liens biologiques au Soudan ?

Aziz Mahamat Saleh : On est très impliqué Monsieur. Moi-même qui vous parle, j'ai des parents qui sont au Soudan comme beaucoup de Tchadiens. Mais il faut faire la part des choses. Il y a les Tchadiens, qu'ils soient Zaghawa, qu'ils soient Arabes et il y a les Soudanais. Et donc je pense que cette part de différence doit être claire pour que la gestion de l'Etat puisse être différenciée. Le Tchad n'a pas à s'impliquer dans le conflit ou prendre une position quelconque.

Le Tchad doit assumer sa responsabilité pour rechercher la paix au Soudan et c'est ce que fait le chef de l'Etat indistinctement des liens quelconques de fraternité qui puissent exister au niveau du Darfour ou au niveau du Soudan. C'est principalement d'abord la paix au Soudan qui est recherchée sans parti pris.

Un risque pour la région du Sahel déjà fragile

Capture d'écran montrant des Soudanais dans une rue de Khartoum, observant de loin un détachement de l'armée (21.04.2023)
L'armée soudanaise compterait 100.000 hommes, contre 40.000 paramilitaires des Forces de soutien rapideImage : Sudanese Armed Forces/REUTERS


DW : Dernière question, Monsieur le ministre Aziz Mahamat Saleh. Est-ce que vous diriez, en tant que porte-parole du gouvernement du Tchad qui est un pays du Sahel, que la situation au Soudan risque d'entraîner donc une menace, une aggravation de la situation déjà fragile du Sahel ?

Aziz Mahamat Saleh : Absolument. C'est un risque majeur, comme c’est déjà le cas de la Libye avec les conséquences fâcheuses.

Et donc c'est un risque majeur pour tous les pays de Sahel que cette guerre, si elle continue, va affecter durablement tout le Sahel en termes d’échanges, en termes de crises humanitaires, également de commerce entre les pays du Sahel, puisque le Soudan, également en termes de production alimentaire et de commerce, a une forte influence.

Et donc bien évidemment ça va aggraver toute la crise aussi bien économique, sécuritaire que sociale au Tchad et dans tout le Sahel.