La Minusca, la mission des Nations unies en Centrafrique, a fêté récemment ses dix années de présence en Centrafrique. Si cette force se félicite des avancées enregistrées dans la mise en œuvre de son mandat de paix, les nombreux cas de viol attribués aux soldats de la paix viennent ternir son bilan.
Antoinette Montaigne, ministre à l'époque où la Minusca a été déployée en Centrafrique s'avoue choquée par la persistance des violences sexuelles attribuées aux casques bleus et en appelle aussi la responsabilité de l'Etat centrafricain qui, selon elle, n'agit pas suffisamment pour protéger les femmes.
Lisez ou écoutez l'interview de la DW avec Antoinette Montaigne
DW : Madame Antoinette Montaigne Bonjour.
Antoinette Montaigne : Bonjour
DW : La Minusca, quel bilan faites-vous de cette mission?
Antoinette Montaigne : La Minusca est venue parce que l'Etat centrafricain a demandé de l'aide et pourquoi nous avons demandé de l'aide? Parce que nous, Centrafricains, nous avons pris l'habitude depuis quelques décennies à nous battre entre nous, à tourner le dos au développement et à tenir compte des choses qui n'ont pas d'importance pour monter en épingle des conflits, nous entretuer.
Quand vous appelez quelqu'un au secours, vous savez pourquoi vous l'avez appelé au secours et vous collaborez pour qu'on ne se trompe pas dans les analyses que nous devons faire de ces dix ans.
DW : Dans l'exercice de sa mission, on a enregistré aussi plusieurs cas de viols contre les femmes.Est ce que cela vous choque?
Antoinette Montaigne : Bien évidemment, en tant que femme, je suis choquée que la violence se situe aussi à ce niveau là.Mais ce qu'on doit dire, c'est que ce sont des hommes et des femmes, donc avec l'imperfection humaine.
La véritable question qui se pose quand ces violences où les femmes ont été ciblées ont eu lieu, qu'est ce qu'on en a fait?
C'est ça la vraie question à laquelle nous devons trouver des réponses et des réponses qui satisfassent les droits des femmes et qui protègent par des mécanismes de prévention pour que plus jamais on puisse avoir à les revivre.
DW : Donc pour vous, le gouvernement est démissionnaire dans le suivi de ce dossier.
Antoinette Montaigne : Le gouvernement lui même n'a pas communiqué sur ce que sont devenus ces dossiers. L'Etat centrafricain a le devoir et l'obligation de protéger ses citoyens, même si l'Etat est en difficulté par rapport à beaucoup de choses.
Mais la voix d'un Etat reste la voix d'un Etat. Et si un Etat a la volonté manifeste de défendre sa population, ça se sait.
Donc l'Etat de ce point de vue, a la redevabilité de faire une situation régulière pour informer les femmes qui ont été trop blessées par ces violences et informer toute l'opinion nationale et internationale de ce que il suit l'évolution de ces dossiers pour que les femmes aient accès à la justice, à la restauration et à la réparation le cas échéant.
DW : La Minusca est intervenue dans un contexte de chaos où les groupes armés violaient les femmes.Ces soldats de la paix qui sont venus sous le drapeau onusien ont commis les mêmes crimes et sont repartis chez eux. Jusqu'aujourd'hui, il n'y a pas de poursuites, il n'y a pas de condamnation. C'est le cas pour les soldats congolais, tanzaniens.
Est ce que cette situation interpelle aujourd'hui la conscience collective au niveau de l'Onu par exemple, pour que ça change?
Antoinette Montaigne : Le secrétaire général des Nations unies était venu en Centrafrique, il avait fait état de ces mécanismes et je pense que les responsables de la Minusca en ce moment, il y a un visage au sein de la Minusca qui gère ces dossiers dans les règles du fonctionnement des Nations Unies.
Mais la part de l'Etat centrafricain, de la société centrafricaine, on ne sait pas.
DW : On assiste face à cette situation, à l'omerta, cette loi de silence qui brise les femmes qui pleurent en silence.
Vous qui êtes activiste pour la cause des femmes, comment vous réagissez à cette situation?
Antoinette Montaigne : En entend des faits divers, mais on ne sait pas exactement comment les situer et comment la justice elle même communique sur ces dossiers pour faire la part de la réalité et en terme de redevabilité.
Droit à l'information et droit à la protection des citoyens si ces faits sont avérés. Je ne connais pas la situation d'un point de vue juridique et judiciaire en termes de violations de droits, les casques bleus ou d'autres forces bilatérales qui sont venus chez nous.
C'est de la responsabilité de l'Etat dans le cadre de ces collaborations, que ça soit sous forme multilatérales et bilatérales, d'indiquer que nous avons un ordre public social centrafricain où les femmes ne sont pas des jouets de pervers et que nous entendons protéger les femmes.
Je ne connais pas, du point de vue de l'Etat centrafricain, le service qui permettrait aux femmes d'aller se plaindre parce que ces femmes sont fragiles, vulnérables puisque la crise est passée là, a laminé la société, a laminé les hommes et les femmes, la population. L'Etat devrait prendre compte face à tout ce qui sort ça et là, de créer un service où les citoyens doivent aller se plaindre en leur garantissant la confidentialité et la protection, et que c'est l'Etat qui va se mettre en avant pour défendre la population, sa population, son peuple.
DW : Au delà de cette situation, il y a la collaboration bilatérale avec le Rwanda, pays contributeur de troupes au sein de la Minusca, dispose aussi aussi en République centrafricaine des forces qui interviennent dans le cadre bilatéral pour la sécurisation du territoire centrafricain.
Force est de constater que les deux qui sont ici en République centrafricaine sont déployés à des postes stratégiques qui menacent un peu les intérêts du Congo démocratique.
Comment vous analysez cette situation?
Antoinette Montaigne : Alors là, vous touchez à des questions éminemment diplomatiques, géopolitiques et géostratégiques.Je ne saurais vous dire quels sont les enjeux diplomatiques de la présence de tel ou tel contingent.
Mais tel ou tel contingent, quelle que soit sa composition, porte en substance une question géopolitique.
Et les contingents à l'intérieur de la Minusca ou bien en bilatéral, que ce soit les forces russes, que ça soit d'autres forces, portent une option géopolitique.
Là, il appartient au gouvernement, à l'Etat de définir la place diplomatique de la République centrafricaine par rapport aux intérêts en présence.
Il ne suffit pas d'être en collaboration pour s'assurer que tout le monde voit la chose de la même manière, ce qui est normal.Les États voient les choses de leurs différents points de vue.
DW : Madame Antoinette Montaigne. Je vous remercie.
Antoinette Montaigne : C'est moi qui vous remercie.