Dr Christopher Fomunyoh est le directeur régional Afrique au National democratic Institute à Washington. Il a rejoint le groupe d'ambassadeurs pour l'Afrique au sein de l'initiative céréalière de l'Ukraine.
Cette initiative, fondée en novembre 2022, vise à faire un plaidoyer en faveur de l'approvisionnement de l'Afrique en céréales. Depuis bientôt un an qu'a démarré l'invasion de l'Ukraine par la Russie, cet approvisionnement est en difficulté, ce qui précipite de nombreux pays du continent dans une crise alimentaire. Lisez ou écouter ci-dessous, l'interview de Christopher Fomunyoh qui explique pourquoi il a décidé d'intégrer l'initiative et ce que l'Afrique en a gagné jusqu'ici.
DW : Christopher Fomunyoh, bonjour !
Christopher Fomunyoh : Bonjour.
DW : Vous faites partie de l'équipe d'ambassadeurs de l'initiative céréalière pour l'Ukraine, aux côtés de l'ancienne présidente du Malawi, Joyce Banda, et de l'ancien ministre nigérian de l'Éducation Oby Ezekwesili. Pourquoi avoir rejoint cette initiative dénommée "Grain from Ukraine" ?
Christopher Fomunyoh : Pour moi, c'est une initiative humanitaire et il est important que cette initiative soit gérée au profit des populations ciblées.
DW : Alors justement, en quoi consiste votre participation en tant qu'Africain ? En quoi est ce que cela profite au continent ?
Christopher Fomunyoh : Justement, vous savez que ce serait vraiment anormal qu'une initiative de cette envergure, soutenue par différents pays et même le système des Nations unies, qu'une initiative de cette envergure puisse être mise en place dans les pays africains sans que les Africains soient en mesure de contribuer à la prise des décisions.
DW : Alors concernant le fonctionnement même de l'initiative "Grain from Ukraine", il s'agit d'approcher des donateurs qui donnent de l'argent pour pouvoir acheter à l'Ukraine ces céréales. C'est bien cela ?
Christopher Fomunyoh : Oui, je pense que ça fait partie des termes de référence, mais c'est important de reconnaître que dans le groupe, il y a des représentants du gouvernement ukrainien. Donc le groupe est présidé par le ministre directeur de cabinet du président de la République (de l'Ukraine, ndlr).
Mais il y a là dedans des représentants de différents ministères ukrainiens. Donc, chacun aura à jouer son rôle. Je ne pense pas que les Africains qui ont été appelés à faire partie du groupe vont se mettre dans les études de fundraising, pour ainsi dire. Le gouvernement ukrainien fera sa part. Et nous autres, on apportera l'expertise par rapport aux pays africains et par rapport aux populations qui sont vulnérables et qui devraient bénéficier de cette initiative.
Même l'Afrique du Sud reconnaîtra aujourd'hui que les questions de l'insécurité alimentaire sont beaucoup plus aiguës dans la Corne de l'Afrique, une zone qui a connu de la sécheresse, qui a connu une guerre et des conflits, que par rapport aux besoins effectifs en Afrique du Sud.
DW : L'initiative avait pour objectif initial de fournir des céréales à au moins 5 millions de personnes entre le démarrage en novembre 2022 jusqu'aux deux prochains mois. Quel bilan pouvez vous en faire trois mois après ?
Christopher Fomunyoh : Pour l'instant, il y a eu seulement trois bateaux, trois ou quatre bateaux qui sont partis. Ça fait 80.000 tonnes de blé. Ce n'est pas suffisant et je ne pense pas qu'on ait déjà atteint les 5 millions qui avaient été projetés pour ce premier trimestre.
Maintenant que le groupe de travail a été mis en place, je pense que nous devrons tout faire pour accélérer la procédure pour que beaucoup plus de pays en soient bénéficiaires. Ces derniers mois, par exemple, il y a des voix qui se sont élevées pour dire que autant l'initiative a été mise en place pour favoriser les pays vulnérables, il y a des inquiétudes dans certains milieux à ce que le blé soit détourné en faveur de certains pays occidentaux.
DW : Est-ce que vous admettez quand même qu'une partie de ces céréales part à des pays européens ?
Christopher Fomunyoh : Pour ce qui est de la répartition globale sur le plan mondial, peut-être que le groupe aura à se prononcer, mais jusqu'à présent, comme le groupe venait d'être mis en place, cette question n'a pas encore fait l'objet de discussions à notre niveau.
Mais je me dis qu'en tant qu'Africain et ayant été retenu pour ces responsabilités, ma priorité, c'est de veiller à ce que l'Afrique soit bien servie. Si après avoir servi l'Afrique, il y a des reliquats pour d'autres continents, il n'y aura pas d'inconvénients à ce que pour des raisons humanitaires, ces autres pays aussi puissent en bénéficier.
DW : On insiste souvent dans cette affaire sur l'Afrique où se trouverait le plus grand nombre de personnes menacées de famine. L'Afrique serait la plus grande bénéficiaire de cette initiative. Mais il semble qu'on omet souvent d'insister sur ce que gagne l'Ukraine aussi en termes de contrepartie ?
Christopher Fomunyoh : A mon sens, il faut reconnaître que l'Ukraine connaissait peu l'Afrique avant le début de cette guerre, que l'Ukraine avait une représentation diplomatique très faible sur le continent par rapport à d'autres pays et que par cette activité, elle finira, l'Ukraine finira par mieux connaître l'Afrique et peut-être tisser des meilleures relations avec les pays africains.
Donc si à travers cette initiative, cela lui permet de sortir de son isolation par rapport à l'Afrique, je pense que cela devrait profiter à l'Afrique, mais aussi pour l'Ukraine dans l'avenir.