Denis Mukwege, prix Sakharov 2014
24 octobre 2014Pour de nombreuses femmes dans le Sud-Kivu, Denis Mukwege est synonyme d'espoir et de salut, relève la FAZ, la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Dans l'est de la RDC, les viols de masse et les mutilations génitales sont devenus une tactique de guerre courante. Le docteur Mukwege, un gynécologue de 59 ans, est spécialiste de la reconstitution chirurgicale des organes génitaux féminins. Des organes souvent détruits par des tessons de bouteille, des barres de fer chauffées à blanc ou par des canons de fusil. L'ampleur de ces crimes est illustrée par le nombre de patientes qu'accueille la clinique Panzi créée à Bukavu par Denis Mukwege: chaque jour dix femmes gravement mutilées y sont admises. Au moins un tiers d'entre elles doivent être opérées. Au cours des 16 dernières années, Mukwege et son équipe ont procédé à plus de 40 000 opérations. Ce qui a valu au médecin congolais d'avoir la réputation d'être le spécialiste n°1 dans le monde de la reconstruction plastique des organes génitaux féminins.
Un lauréat modeste
Cette réputation, le "Docteur Denis" y renoncerait volontiers, poursuit la FAZ. Quoi qu'il en soit, le lauréat du Prix Sacharov 2014 du Parlement européen est un exemple-phare d'humanité dans une région où la barbarie ne connaît apparemment plus de limites. Les simples gens au Kivu l'adorent comme un Dieu, les puissants le haïssent. Car Mukwege ne soigne pas seulement les victimes de viols, mais il recueille leurs témoignages et les publie. Il montre du doigt les responsables aussi bien parmi les groupes rebelles soutenus par le Rwanda qu'au sein de l‘armée congolaise. Les tentatives répétées de le réduire au silence sont légion. En octobre 2012 , il a survécu de justesse à un attentat. Une tentative de meurtre liée sans doute au discours qu'il avait tenu quelques jours auparavant devant l'Assemblée générale des Nations unies, où une fois de plus il avait accusé tous les belligérants dans l'Est de la RDC de viols de masse.
Une vie au service des femmes
La Frankfurter Allgemeine Zeitung revient aussi sur le passé de Denis Mukwege. Né le 1er mars 1955 à Bukavu, il est le fils d'un pasteur protestant de la mission pentecôtiste suédoise. Denis a étudié la médecine au Burundi voisin et, ses études terminées, a travaillé dans un petit hôpital à Lemera dans le Kivu. Là il a été témoin de la mort de nombreuses femmes enceintes à l'accouchement, par manque de personnel spécialisé. C'est pourquoi il a fait des études et des stages supplémentaires à Angers en France pour se qualifier en tant que gynécologue. De retour à Lemera, sa clinique a vite été connue par delà les frontières du pays. La clinique a été incendiée en 1996 – deux ans après que le génocide au Rwanda a exporté vers le Congo guerre et viols de masse. Un incendie criminel destiné à chasser le courageux médecin. Mais, peu après, avec une aide internationale, ce père de cinq enfants a alors construit la clinique Panzi dans sa ville natale de Bukavu .
La liste de ses distinctions est longue. Entre autres, Mukwege s'est vu décerner le prix suédois Olof-Palme, le prix francais de la Légion d'honneur et le prix belge du Roi Baudouin. Et ces dernières années, son nom était chaque fois cité parmi ceux de lauréats potentiels du Prix Nobel de la Paix.
Ebola toujours à la Une
Le quotidien Tagesspiegel rapporte sa rencontre à Bonn dans notre maison de la radio avec Jan-Philipp Scholz , correspondant de la Deutsche Welle pour l'Afrique de l'Ouest et centrale à son retour de Freetown en Sierra Leone. Ce pays fait partie des plus durement touchés par l'épidémie d'Ebola, au moins 1200 personnes y ont déjà succombé au virus selon l'OMS.
Fin septembre, Jan Philipp Scholz et son collègue Adrian Kriesch se sont rendus dans la capitale sierra-léonaise. L'éditorialiste du Tagesspiegel l'a rencontré à son retour. Jan Philipp Scholz parle d'un "choc culturel" et raconte que certains collègues ici ont évité les premiers jours après son retour, de lui tendre la main ou de l'approcher de trop près. Mais la période d'incubation est passée et les appréhensions oubliées.
Ebola fait peur. Mais vu d'Allemagne, l'épidémie semble très éloignée et les médias ici ont ces derniers mois davantage parlé d'autres foyers de crise : des guerres à Gaza et en Syrie, de la lutte contre les jihadistes de « L'Etat islamique » autoproclamé. "Non seulement le gouvernement a longtemps négligé le sujet Ebola mais aussi les médias", estime Jan Philipp Scholz.
D'autant plus qu'en général, l'Afrique de l'Ouest n'est pas une région au centre des médias allemands, du moins pour ceux qui diffusent leur programme pour le public allemand.
Les studios des chaînes publiques allemandes ARD et ZDF qui couvrent cette région se trouvent à… Nairobi, à quelque 5700 kilomètres de Freetown. Peu de journalistes allemands connaissant bien la région sont sur place en Afrique de l'Ouest, où Ebola a réapparu en décembre dernier. De retour de Sierra Leone, Jan Philipp Scholz et Adrian Kriesch ont produit un reportage télévisé d'une douzaine de minutes.
Un hommage à l‘engagement privé de volontaires nationaux et internationaux qui aident les malades au risque de contracter eux-mêmes la maladie. "L'Etat est complètement dépassé par les évènements, estime Jan Philipp qui a constaté que les médecins manquent de tout, d'équipements, mais aussi d'expérience.
"L'Afrique de l'Ouest est loin"
Sous ce titre, le quotidien Handelsblatt relève que même si au moins 5000 kilomètres séparent Berlin des zones touchées par Ebola , on devrait avoir honte quand on voit la lenteur avec laquelle le gouvernement allemand a réagi.
Depuis juin déjà, il est clair que cette épidémie d'Ebola surpasse toutes les précédentes, que les trois principaux pays touchés, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée, ne sont plus en mesure de maîtriser tout seuls la situation. Que ces Etats sont faibles, que les gens ne peuvent plus être soignés, en partie même pas enterrés !
Pourtant ce n'est que le 22 septembre que la ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen a commencé à recruter des volontaires dans les rangs de la Bundeswehr pour une mission d'aide dans ces pays. Plus d'un mois et demi donc après l'appel du ministère des Affaires étrangères à tous les ressortissants allemands de quitter le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée.
Jusqu'à ce jour aucun soldat allemand n'est sur place dans la région de crise pour lutter contre Ebola. Les autres gouvernements en Europe ou aux Etats-Unis ont eux aussi trop longtemps attendu avant d'engager le combat contre le virus en Afrique de l'Ouest. Il semble, critique le journal, qu'il ait fallu que des personnels médicaux ayant contracté le virus en Afrique soient hospitalisés au Texas ou en Espagne pour que l'occident réagisse.
À ce moment là, 3000 personnes avaient déjà succombé à la maladie en Afrique. Est-ce que la vie d'une personne a une valeur différente selon les régions ? s'interroge le Handelsblatt.
Il y a seulement quelques semaines, politique et opinion publique se sont enfin réveillées. Lorsque des personnels d'organisations humanitaires occidentales ont contracté le virus, alors des vaccins en cours d'élaboration ont été testés en urgence. Le Handelsblatt souligne qu'il s'agit de profiter de cette attention soudaine de l'Occident, aussi longtemps qu'elle durera, pour recueillir des dons, des équipements et des médicaments. Car, craint l'éditorialiste, une fois que cette crise d'Ebola aura été surmontée, les soucis de nombreux pays d'Afrique seront de nouveau bien vite loin de nos préoccupations.