Des serviettes hygiéniques contre la déperdition scolaire
31 mars 2017Les serviettes hygiéniques et les tampons sont trop chers pour de nombreuses familles. Or, quand on manque l’école trois, quatre ou cinq jours par mois, on ne peut pas maintenir le niveau et on est condamné à échouer aux examens.
Ces derniers temps, un débat a surgi en Ouganda, sur les articles d’hygiène féminine et leur lien avec l’égalité des sexes. Des particuliers ont même lancé des initiatives pour permettre aux femmes et aux jeunes filles d’accéder à ces produits ultra-nécessaires pour continuer à vivre normalement au quotidien, même quand elles ont leurs règles.
Atelier couture... pour serviettes réutilisables
Les cours sont terminés, mais au lieu de rentrer à la maison, une douzaine de filles en uniforme bleu et blanc se réunissent dans une salle de classe de l’école élémentaire de l’organisation CARE. On tire les tables ensemble, on installe des machines à coudre. Des ciseaux, des bouts de tissus et des patrons de couture sont étalés devant les filles. Sadat Nduhira anime un atelier de bricolage. Cet artiste de 27 ans a grandi dans des quartiers pauvres et a bien vu que ces sœurs manquaient l’école une semaine par mois, quand elles avaient leurs règles. Alors il a eu une idée. Sadat a essayé plusieurs choses puis s’est lancé dans des ateliers scolaires, pour apprendre aux filles à fabriquer leurs propres serviettes hygiéniques :
« Cette serviette absorbe l’épanchement de sang. Elle est faite à partir d’anciennes serviettes de toilettes, de cotonnades, et est bien plus absorbante que les bouts de tissus que les jeunes filles utilisent d’ordinaire. Après utilisation, il suffit de les laisser tremper dans l’eau une nuit. Le matin, on les lave bien, jusqu’à ce qu’elles soient bien propres, puis on les étend au soleil pour les faire sécher. Ensuite, on les repasse à fer très chaud, pour tuer jusqu’aux dernières bactéries. Et puis on les range dans un endroit propre pour garantir une bonne hygiène. »
Rester à l'école pour cinq euros
Pour l’équivalent de cinq euros, les jeunes filles ont ainsi une serviette hygiénique réutilisable. Pour de nombreuses familles à Kampala, cinq euros, c’est déjà beaucoup d’argent. Mais Catherine Nantume, 14 ans, est heureuse d’avoir découvert cet atelier. Elle aussi manquait systématiquement l’école en période de menstruation, de peur que ses camarades ne se moquent des tâches de sang sur son pagne. Maintenant, elle coud ses serviettes hygiéniques elle-même :
« Je manquais tout le temps les cours, et ça me rendait très malheureuse, parce que je m’ennuyais à la maison. J’adore ce projet parce que ça m’a permis de bricoler moi-même mes propres serviettes hygiéniques. On en fabrique beaucoup et puis on les distribue gratuitement dans d’autres écoles, à la campagne. Parfois, on apprend aussi aux filles de là-bas à coudre ces serviettes. Et on espère qu’elles aussi iront ensuite en distribuer aux autres. »
Quand les députés parlent tampons
Les règles et les serviettes hygiéniques sont des sujets tabous, en Ouganda, comme dans beaucoup d’autres pays. Et pourtant, en ce moment, on en parle partout, sur Facebook et même au Parlement. Parce que ces thèmes sont liés à l’égalité entre les sexes. Lors de la dernière campagne présidentielle, en 2016, le président Museveni avait promis de distribuer gratuitement des serviettes hygiéniques dans les écoles. Cela lui a valu de nombreuses voix féminines. Il a nommé sa femme Janet Museveni ministre de l’Education. Mais « Mama Janet », comme on l’appelle, s’est rapidement rendu compte que les caisses de l’Etat ne disposaient pas des moyens nécessaires à la réalisation de ces promesses électorales.
Une célèbre militante féministe du pays, Stella Nyanzi, a alors lancé un appel à contributions sur internet, un crowdfunding, dans l’espoir de récolter assez d’argent pour pouvoir distribuer 10 millions de serviettes hygiéniques réutilisables dans les écoles du pays :
« La biologie, c’est de la politique, un jeu de pouvoir. Nous voyons bien lors des examens nationaux que les filles les plus pauvres ont de plus mauvais résultats. Dans les villes, là où les filles ont un peu d’argent, les résultats sont à peu près les mêmes que ceux des garçons. Ça me met en colère de voir que le gouvernement est au courant, qu’il fait même des promesses contre ce phénomène, et que finalement, il ne fait rien. L’émancipation de la femme ici, en Ouganda, c’est une vaste blague. On a plein de vagins au Parlement, mais il faut maintenant qu’elles prouvent, ces députées femmes, qu’elles ont aussi un cerveau ! »
Stella Nyanzi recourt volontiers à la provocation. Elle a lancé une campagne sur les réseaux sociaux sous le hashtag #Pads4GirlsUg, pour en appeler aux femmes de pouvoir, et en particulier à la Première dame, Janet Museveni. Et elle fait des vagues. D’ailleurs, Stella a déjà été convoquée par la police, soi-disant parce qu’elle aurait insulté la femme du président sur Facebook. Elle a été interpellée à l’aéroport alors qu’elle était en partance pour l’Europe. Stella s’attend toujours à être arrêtée par les forces de l’ordre. Alors que tout ce qu’elle veut, c’est que ses concitoyennes puissent continuer à vivre comme si de rien n’était quand elles ont leurs règles... un phénomène tout ce qu’il y a de plus naturel puisque le sang s’écoule au moment où les muqueuses utérines se renouvèlent en l’absence de fécondation de l’ovule, c’est-à-dire si la femme n’est pas enceinte.
Ce reportage est un extrait du magazine Droits et Libertés, que vous pouvez retrouver chaque semaine le mardi et le jeudi à 17h30 temps universel. Vous pouvez podcaster l'émission ici.