Il y aura donc un deuxième tour à la présidentielle turquele 28 mai prochain. Après vingt ans au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan, 69 ans, sort vainqueur du premier tour, avec 49,5% des voix, contre 45% pour son principal rival social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu. Le 3e candidat, l’ultra-nationaliste Sinan Ogan arrive en troisième position avec 5,7%. Vu d'Allemagne revient cette semaine sur les résultats du premier tour en Allemagne, où vit la plus grande diaspora turque du monde.
Communauté turque en Allemagne
"L'Allemagne a toujours été liée à la Turquie et, avant cela, l'Empire allemand à l'Empire ottoman", explique Caner Aver du centre d'études sur la Turquie et de recherche sur l'intégration à Essen, dans l'Ouest du pays. "Il y a même eu une alliance pendant la Première Guerre mondiale. Et après encore, l'Allemagne a conclu, en 1961, l'accord sur les Gastarbeiter, les travailleurs invités, en particulier avec la Turquie. Cela a coïncidé avec une période de problèmes économiques en Turquie, ce qui a aidé l'Allemagne à obtenir de la main-d'œuvre bon marché. Et la Turquie pouvait envoyer des chômeurs ou des travailleurs à l'étranger et ainsi obtenir des devises et améliorer la situation sur le marché du travail. Ce sont donc des raisons économiques des deux côtés qui ont fait que l'Allemagne est devenue, au fil du temps, la plus grande diaspora turque."
Les résultats du premier tour
Au premier tour en Allemagne, Recep Tayyip Erdogan fait un score beaucoup plus élevé qu'en Turquie : plus de 62% des voix, contre un peu moins de 33% à son principal rival, Kemal Kiliçdaroglu. Les deux autres candidats en lice, Sinan Oğan et Muharrem Ince (qui s'était retiré, mais trop tard pour que son nom soit retiré des bulletins), obtiennent respectivement, 1,3 et 0,7% des voix. Un résultat peu surprenant : Recep Tayyip Erdogan avait déjà bénéficié de 2/3 des voix de l'Allemagne en 2018.
Les raisons de ce choix
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le plébiscite des Turcs d'Allemagne pour Erdogan. "Il y a d'abord l'origine sociale des personnes", explique Caner Aver. "Les personnes arrivées dans les années 1960 sont originaires d'Anatolie, de milieux peu éduqués, de régions rurales, plutôt conservatrices, traditionnelles, orientées vers la religion ou le nationalisme. C'est le milieu politique dont elles sont issues, et elles ont donc continué à vivre avec ces valeurs en Allemagne et les ont transmises à leurs descendants."
Ce spécialiste des relations entre l'Europe et la Turquie évoque aussi le pouvoir d'influence du parti AKP en Allemagne, via les organisations gouvernementales à l'étranger, mais aussi des organisations culturelles, religieuses ou les consulats. "Tout cela permet d'approcher la population en Allemagne, de s'adresser à elle, d'être en dialogue sur une longue période et de fidéliser".
Une influence qui s'exerce aussi via les mosquées. "Elles ont commencé à être construites au début des années 1980", explique la Dr. Inci Öykü Yener-Roderburg de l'institut d’études turques basée également à Essen en Allemagne. "Et depuis lors, les partis turcs au pouvoir ont instrumentalisé ce phénomène à l'étranger, tout d'abord en Allemagne, puis en France, aux Pays-Bas, en Belgique, et dans ces pays également où l'AKP d'Erdogan a de très forts partisans." La chercheuse raconte l'importance de ces lieux devenus plus plus que simples lieux de culte. On y va pour se retrouver en famille, parfois avoir des conseils santé, prendre des cours d'allemand... "L'Allemagne n'a pas vraiment offert de tels espaces à ces personnes laissées dans leurs propres petits ghettos. Depuis 2002, l'AKP utilise ces espaces",
Caner Aver explique aussi le vote en faveur de Recep Tayyip Erdogan par un autre facteur. "Il est lié au sentiment d'intégration", analyse-t-il. "On parle des personnes qui ne trouvent pas forcément de « foyer émotionnel » ici en Allemagne, ont vécu des expériences de racisme ou sont confrontées aux débats sur l'intégration, la migration ou l'islam, souvent menés sur le dos des personnes d'origine turque. Elles vont plus facilement se tourner vers la mémoire collective du milieu conservateur turque et se retrouver directement dans les bras de l'AKP et d'Erdogan."
Beaucoup d'électeurs ou d'électrices du président sortant mettent aussi en avant les avancées en termes d'infrastructures, d'industrialisation ou du système de santé sous sa présidence. "Et puis, il ne faut pas oublier que la moitié des personnes d'origine turque n'a pas le droit de vote et que seuls la moitié (48,3%) de ceux qui peuvent voter l'ont fait", nuance la Dr. Inci Öykü Yener-Roderburg. "Certains disent être intégrés en Allemagne, et donc ne pas vouloir voter pour les élections turques", raconte la chercheuse. "Ce sont en fait souvent des gens peu intégrés dans les organisations de la diaspora. Et puis il y a aussi tous ceux qui ne veulent pas voter parce qu'ils ne croient plus au changement, voire n'ont pas confiance dans le fait que leur voix soit comptée."
En attendant, tous ceux qui souhaitent voter pour le second tour peuvent le faire du 20 au 24 mai prochain. Le nombre de bureaux de vote dans toute l'Allemagne est passé de 13 à 16, pour permettre à plus de gens de voter. Le gouvernement turc, comptant sur le voix de la diaspora, en espérait même 26 au total. Mais il n'a pas eu toutes les autorisations.
A Istanbul, la difficile campagne de l'opposition
En seconde partie de cette émission, Marie Tihou nous emmène à Istanbul. Elle revient d'abord sur la longue soirée du premier tour de ces élections générales. Notre correspondante vous raconte aussi comment se prépare l'opposition avant le second tour. Une opposition parfois combative, mais sonnée par les résultats du premier tour...
Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast. Vous retrouvez tous les numéros sur cette page, à écouter en ligne ou à télécharger en format MP3. Le podcast est également disponible sur certaines plateformes.