Exactions en Centrafrique, Amnesty tire la sonnette d'alarme
25 février 2021Le 17 février, le gouvernement centrafricain avait annoncé la "libération totale" de Bambari et la capture de "nombreux prisonniers". Une annonce faite sans qu’aucun bilan ne soit communiqué sur d'éventuelles pertes civiles et militaires.
C’est précisément dans cette ville qu’Amnesty international, qui se base sur des témoignages, images satellite et analyses de photographies, signale la mort de 14 personnes dont au moins deux civils sur un site religieux. L’organisation rapporte par ailleurs qu’"au moins deux personnes" ont été tuées par balles et six autres ont été blessées, cette fois-ci le 11 janvier dans un incident lié au non-respect du couvre-feu imposé dans la capitale Bangui.
Protéger les civils
Amnesty appelledonc "les autorités à protéger les civils et diligenter des enquêtes judiciaires indépendantes sur les abus et les violations des droits humains. "Nous avons pu documenter des violences faites aux civils par les membres des groupes armés, que ce soit à Bangassou, à Bozoum ou à Bambari, et nous avons également documenté des violences faites aux populations civiles à Bangui pendant le couvre-feu. Ces violences sont le fait des forces de sécurité intérieure. C'est pour cette raison que nous appelons à ce qu'une enquête indépendante soit diligentée pour faire la lumière et situer les responsabilités " explique Abdoulaye Diarra, chercheur sur l’Afrique centrale à Amnesty international
Les attentes des autorités
A la mi-décembre, six groupes armés qui contrôlaient les deux tiers de la Centrafrique se sont alliés au sein de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), puis ont lancé une offensive qui s’est heurtée à la résistance des forces internationales présentes en Centrafrique. Depuis janvier, les forces pro-gouvernementales ont repris plusieurs villes aux rebelles mais en faisant eux aussi des victimes parmi les civils.
Le rapport d’Amnesty international a fait réagir les autorités centrafricaines. Selon Sylvie Baïpo la ministre des Affaires étrangères " ce que la République centrafricaine attend c'est que dans ce rapport il soit clairement indiqué que le maintien de l'ordre constitutionnel passe par une condamnation ferme des acteurs ennemis de la paix qui viennent déstabiliser les institutions de la République. On nous parle d’arrestation, de couvre-feu… Le couvre-feu est là pour sécuriser la population. Les moyens étant limités au niveau de nos forces armés nous cherchons d’autres moyens pour pouvoir assurer la protection de la population."
Une population qui depuis plusieurs années maintenant est prise entre deux feux dans une guerre qui semble ne jamais finir.
Lisez l'interview complète avec le chercheur Abdoulaye Diarra d'Amnesty international :
DW : Dans votre enquête vous soulignez que la violence a considérablement augmente depuis la période électorale, pourriez-vous nous dire quel résultat de votre enquête vous a le plus choqué ?
Abdoulaye Diarra : En décembre 2020, une coalition de six groupes armés s'est formée dans l'objectif de contester la tenue des élections. Ces membres de groupes armés ont lancé plusieurs attaques contre des villes et des villages en République centrafricaine, et nous avons constaté alors une hausse de la violence armée, notamment du fait des combats entre les forces armées centrafricaines et cette coalition de groupes armés.
Le 15 et 16 février 2021 se sont déroulés des combats justement entre la CPC et les Forces armées centrafricaines dans la ville de Bambari. Amnesty confirme que des civils ont été tués dans ce contexte et plusieurs autres blessés. En effet, Crisis Evidence Lab, une autre équipe d'Amnesty International qui est spécialisée dans l'analyse des éléments de preuve, a reçu et analysé plusieurs images et une vidéo qui est datée du 16 février pouvant être géolocalisé dans un site à l'est de Bambari. Les images montrent en effet les corps de personnes qui auraient été tuées le même jour. En tout, 14 cadavres sont visibles sur le sol, la plupart partiellement ou entièrement couverts de tissus pour les parties visibles. Les personnes ne portaient pas de tenues militaires.
La vidéo a également permis de voir en gros plan certains de ces cadavres, dont une femme et un enfant. Les photos qui ont été reçues et qui ont également été analysées, montrent les dégâts sur le même bâtiment. Une image montre ce que nous avons pu confirmer, comme être des dégâts qui sont causés par l'explosion d'une arme, de même que d'autres dégâts visibles sur le sol et des trous au murs adjacents correspondant au résultat de la détonation d'une munition produisant des fragments. Des blessures provenant sans doute des fragments de munitions et qui reflète les dégâts observés sur les murs sont également visibles sur court.
Alors, il y a eu au cours de cette attaque à Bambari, plusieurs blessés parmi les civils et récemment, vous avez vu Médecins sans frontières a d'ailleurs communiqué là-dessus et affirmé que parmi les blessés, on pouvait compter des mineurs de l'âge de 17 mois à 17 ans, ce qui traduit la violence des combats.
A qui attribuez-vous la faute pour la violence faite aux civils : aux rebelles uniquement ou aussi au gouvernement et ses alliés ?
Il faut faire preuve de la plus grande prudence, car le conflit armé est encore en cours. Nous avons pu documenter des violences faites aux civils par les membres des groupes armés, que ce soit à Bangassou, à Bozoum ou à Bambari, et nous avons également documenté des violences faites aux populations civiles à Bangui pendant le couvre-feu. Ces violences sont le fait des forces de sécurité intérieure. C'est pour cette raison que nous appelons justement à ce qu'une enquête indépendante soit diligentée pour faire la lumière et situer les responsabilités.
Selon vous, quel rôle joue l'ancien président centrafricain François Bozizé dans ces violences ?
La candidature de M. Bozizé à l'élection présidentielle a été rejetée par la Cour constitutionnelle. Les autorités centrafricaines, mais également la Minusca, le désignent comme étant celui qui a joué un rôle dans la mise en place de cette coordination de groupes armés. Il faut rappeler également que les responsables de ces groupes armés sont signataires de l'accord de Khartoum. Nous avons appelé dès octobre 2020, lorsque nous avions publié un rapport sur la lutte contre l'impunité en Centrafrique, à ce que la justice centrafricaine, et notamment la Cour pénale spéciale, puissent bénéficier de tous les moyens nécessaires pour mener des enquêtes judiciaires et faire la lumière sur toutes les violences qui ont eu lieu en République centrafricaine. Donc, nous pensons que seule une enquête indépendante pourra déterminer le rôle de chacun de ces acteurs dans la crise actuelle que traverse la République centrafricaine. Et c'est pour cela que nous appelons d'ailleurs à ce qu’une enquête soit le plus rapidement diligentée.
Quelles sont les recommandations concrètes que vous faites aux autorités centrafricaines pour remédier aux violences ?
Il y a en Centrafrique, évidemment, plusieurs acteurs et plusieurs intervenants, notamment la Minusca, et nous pensons qu'il est important que le mandat de la MINUSCA en matière de protection des civils soit renforcé. La MINUSCA a un rôle essentiel à jouer en matière de protection des civils en République centrafricaine. Concernant les autorités centrafricaines, comme je l'ai dit plus tôt, il est important qu'elles donnent les moyens nécessaires aux tribunaux centrafricains, mais également le soutien nécessaire à la Cour pénale spéciale pour que la justice puisse faire son travail. Nous avons la conviction que la lutte contre l'impunité est le meilleur moyen pour remédier aux violences et le climat d'impunité qui a pu régner dans le pays, au contraire, encourage la commission de violations et abus des droits de l'homme.
Faudrait-il dialoguer avec les rebelles ou non, selon vous ?
Il appartient aux responsables, aux dirigeants de la Centrafrique, en toute souveraineté, de faire ce choix de dialogue ou pas. Ce que nous disons, c'est que le dialogue ne doit pas se faire au détriment de la justice. Depuis plus de deux décennies, il y a des violations et des abus des droits de l'homme en République centrafricaine. Il est donc important de rendre justice aux victimes. Et nous leur rappelant encore : la lutte contre l'impunité est une des conditions essentielles pour mettre fin aux violences et dissuader les auteurs de violences. Nous encourageons fortement les autorités à prendre toutes les dispositions nécessaires pour que ce dialogue ne se fasse pas au détriment de la justice.