Histoire coloniale allemande : l'art contre l'oubli // En Pologne, l'échec de l'intégration scolaire des réfugiés ukrainiens
"L'empire allemand doit absolument viser l'acquisition de colonies. Dans l'empire lui-même, il n'y a pas assez de place pour la grande population."
C'est Konrad Adenauer qui a prononcé cette phrase, en 1927. Bien avant de devenir le premier chancelier de l'Allemagne fédérale en 1949, Konrad Adenauer a été maire de Cologne... et un grand défenseur de la colonisation. Il a notamment été vice-président de la Société coloniale allemande entre 1931 et 1933, et c'est lui qui a organisé l'exposition coloniale de 1934 à Cologne.
Confronter les Allemands à leur passé
Peu d'Allemands connaissent cette facette de l'ancien chancelier, ni même d'ailleurs l'histoire coloniale de leur propre pays. C'est une des raisons qui ont poussé l'artiste jamaïcaine Cheryl McIntosh à placer cette phrase à l'entrée de son exposition "Counter Thoughts - Counter Images" à Bonn, pour confronter les visiteurs dès le début avec ce passé aujourd'hui dérangeant.
Son exposition fait partie du projet "Culture de la mémoire active", du Centre d'histoire et des cultures de la mémoire de la ville de Bonn.
"Je pense qu'il devrait y avoir plus de discussions. Il faut enseigner l'histoire coloniale de l'Allemagne à l'école. Il faut commencer par les écoles, commencer par l'éducation pour que les enfants sachent et prennent conscience de ce qui s'est passé il y a 100 ou 200 ans."
Quand l'Allemagne réclamait sa "place au soleil"
Ce qui s'est passé il y a 100 ou 200 ans, c'est la conquête par l'empire allemand de "sa place au soleil" - une autre citation passée dans le langage commun d'ailleurs...
Celle-ci est d'Otto von Bismarck, chancelier impérial entre 1871 et 1890. Elle exprimait alors l'ambition de l'Allemagne à vouloir étendre son empire au même titre que les autres puissances européennes.
Entre 1885 et 1919, l'Allemagne a été ainsi la troisième plus grande puissance coloniale en Afrique, derrière la France et l'Angleterre. Les colonies allemandes comprenaient l'actuelle Namibie, les États actuels du Burundi, du Rwanda et de la Tanzanie (sans Zanzibar), mais aussi le Togo, le Cameroun et des régions de l'actuel Ghana.
La brutalité de la colonisation allemande
Lors de la conquête des colonies, les Allemands ont brutalement réprimé toute résistance. Comme celle des Herero, en Namibie...
"Les Allemands, par l'intermédiaire de leur général Lothar von Trotha, ont veillé à employer tous les moyens possibles pour tuer les Héréros. Ils ont commencé par donner l'ordre d'extermination et ils ont fait empoisonner les points d'eau", témoigne le chef suprême des Herero, Mutjinde Katjiua, dans le quatrième épisode de notre série "Dans l'ombre de la colonisation allemande".
Lothar von Trotha était commandant des troupes coloniales en Afrique du Sud-Ouest allemande, l'actuelle Namibie, Il a été en grande partie responsable du génocide des Herero et des Nama qui a coûté la vie, selon les estimations, à jusqu'à 100.000 personnes entre 1904 et 1908.
Dans le cimetière de Bonn où est enterré Lothar von Trotha, on ne trouve aucune trace de son rôle durant ce sombre épisode de la colonisation.
Alors dans son exposition, Cheryl McIntosh a choisi de rappeler le génocide par une représentation du combattant de la résistance herero, Samuel Maharero. À ses pieds, une plaque recouverte de mousse provenant de la tombe de von Trotha informe les visiteurs sur les violences commises par le commandant.
Des visiteurs qui pour la plupart saisissent les liens entre l'histoire et le présent. "L'histoire coloniale nous marque encore aujourd'hui et c'est pourquoi je pense qu'il est toujours très important de l'expliquer et d'informer les gens à ce sujet", confie un visiteur.
Colonialisme et racisme, une même histoire
Un autre voit un lien direct entre l'exploitation des peuples colonisés et la prospérité des Allemands aujourd'hui : "Tout notre monde de consommation repose sur le fait que nous avons pu nous enrichir à certaines périodes grâce aux ressources d'autres régions du monde et aussi davantage profiter des échanges commerciaux. Et c'est le cas encore aujourd'hui."
Cheryl McIntosh aborde également l'exploitation des peuples colonisés dans son exposition, avec une installation au sol sur laquelle elle a disposé du coton, du sucre et du café à côté d'un personnage manifestement réduit en esclavage.
Pour l'artiste, il n'y a pas que les structures économiques qui sont la conséquence directe des rapports de force inégaux de l'époque coloniale. Les discriminations, encore trop présentes en Allemagne, sont aussi un effet post-colonial :
"En tant que personne noire, j'ai déjà été attaquée verbalement. Pour moi c'est un signe de colonialisme."
Cheryl McIntosh a fait du lien entre racisme et colonialisme le moteur de son travail de mémoire.
"Il est clair que le racisme joue un rôle important dans notre société", admet une visiteuse. "Aussi bien dans la manière dont nous avons grandi et dans notre passé. Il est important que les gens en aient conscience lorsqu'ils pensent ou agissent de manière raciste."
Cheryl McIntosh, qui s'intéresse depuis près de dix ans à l'époque coloniale et au racisme dans son art, espère que ses œuvres aiguiseront le regard des Allemands sur leur passé colonial et créeront une plus grande sensibilité aux conséquences du colonialisme...
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Le défi de la scolarité des enfants ukrainiens réfugiés en Pologne
La Pologne a accueilli près de 960.000 réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre de la Russie en Ukraine. Parmi ces réfugiés, environ 300.000 enfants en âge scolaire. Mais deux ans après le début de la guerre, plus de la moitié de ces élèves échappent complètement au système scolaire polonais.
Dans ce pays frontalier du leur, de nombreux écoliers réfugiés préfèrent se tourner vers des systèmes d’éducation parallèles, dans la continuité des programmes ukrainiens : ils s’accrochent à l’espoir de vite rentrer dans leur pays. Un reportage d'Adrien Sarlat à Varsovie.
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