Indépendance du Congo: "Après Kasavubu, c'était le déluge"
30 juin 2020La République démocratique du Congo (RDC) commémore ce 30 juin, le soixantième anniversaire de son accession à la souveraineté internationale. Le Zaïre d'alors, devenait indépendant de la Belgique en 1960. Le pays a connu un cycle d'instabilités durant ces six décennies à cause de sa richesse très convoitée. Les régimes après l'ère Mobutu se sont succédé sans réussir à stabiliser le pays. L'historien Jean Kambayi Bwatshia revient dans cette interview sur l'histoire mouvementée du Congo. Il est au micro de notre correspondant Jean-Noel Bamweze.
Jean Kambayi Bwatshia: Ce qui a caractérisé la journée du 30 juin 1960, ce sont des discours qui, chacun, ont témoigné de toute l'histoire de la République démocratique du Congo, depuis l'esclavage jusque-là, autant de siècles d'esclavage, puis cinquante ans, même plus, de la colonisation. Tous les discours ont témoigné de toute l'histoire, comme je venais de le dire. D’abord, il y a eu le discours du roi qui a rappelé aux Congolais leur misère et leur malheur. Le roi n'a pas hésité un seul instant de nous dire que nous étions des gens tous malheureux qu’on aurait ramassés dans la brousse et qu’on nous aurait appris à nous comporter comme il faut. Nous devrions donc faire attention tout en restant obéissants et surtout reconnaissants à l'endroit des Belges…
Le discours protocolaire du roi a été relayé par un autre discours protocolaire du premier Président de la République, Joseph Kasavubu. Protocolairement, il a remercié le roi Baudouin et son grand-père Léopold II et l'ensemble de la Belgique coloniale. Joseph Kasavubu a vanté l'œuvre coloniale belge, il a dit aux Belges qu'ils étaient malins et sages de ne pas se dérober au courant de l'histoire et que désormais, ils doivent compter avec les Congolais, les Congolais ne vont pas aller tout droit dans les réformes, aidez-nous. Quand nous serons en difficulté, souvent, nous allons recourir vers vous.
Vous voyez un peu ce discours-là ? Patrice Lumumba connaissant très bien comment fonctionnent ces choses protocolaires, savait protocolairement comment Joseph Kasavubu allait répondre. Il a sorti le discours qu’il avait peaufiné déjà depuis la nuit, sous le conseil de ses amis socialistes français, socialistes africains, communistes pourquoi pas, ses amis algériens. Il a commencé son discours, il a dit Messieurs les Congolais, désormais vous êtes citoyens, sachez très bien que ce pays est à vous. L'Indépendance n'est pas un cadeau, comme le roi l'a dit ou comme le président Joseph Kasavubu a relayé. Vous avez arraché votre liberté !
Ce discours a eu à peu près 10 applaudissements. Tous les discours ont témoigné, c’est le Congo d‘aujourd'hui.
DW: Le Congo d'aujourd'hui a connu cinq régimes. Qu'est-ce que les nouvelles générations peuvent retenir de ces présidents, surtout Joseph-Désiré Mobutu et Laurent-Désiré Kabila ?
Jean Kambayi Bwatshia: L'histoire, c'est une continuité. Avec le président Joseph Kasavubu, nous étions indépendants de face. On a simplement mis un peu d'huile sur nos visages. On nous a donné le pouvoir. On a compris que les Congolais aimaient leur costume, aimaient leur voiture, aimaient leur maison.
Les Congolais vont prendre les maisons des Blancs. Et c'est une continuité de 1960 à à peu près 1965. Le pays nouvellement indépendant gesticulait dans l'installation d‘un régime copié sur le modèle belge. Et puis la démocratie n'a pas réussi, il y a eu un gros capitaliste, l’Amérique, quand il a vu que c'était difficile de construire un pays pour l’impérialiste, avec comme capital général le roi Léopold II et désormais la Belgique.
Et on a simplement décapité Kasavubu et Lumumba. Et on a d'abord joué un premier coup d'Etat en septembre 1960, et puis faisant l'exercice le 24/25 novembre 1965, il [Joseph-Désiré Mobutu] a fait son coup d'État militaire, poussé au pouvoir par la Belgique sous l'égide des Américains, avec comme enjeu principal les richesses et la position économique du Congo, aujourd'hui République démocratique du Congo.
Tout l’enjeu, c’est celui-là: le Congo riche devrait rester au cœur de l'Afrique pour empêcher que le Congo aille dans le camp soviétique. De deux, il faut absolument que le Congo reste dans le giron de l'impérialisme. Mobutu, sa dictature tournait autour de ce qu'on a appelé l’authenticité, c’était une bonne chose, mais vue par Mobutu. Il a fait la zaïrianisation. Et puis, quand les Américains ont vu qu'il était difficile de continuer à travailler avec une orange qui ne donne plus de jus, devenant malade, vieillissant, on l'a chassé du pouvoir, tout en entrainant un autre qui venait justement de l'Afrique : Laurent-Désiré Kabila, un grand trafiquant d'or, de vin, parce que lui, devrait accepter la dictature de l'Ouganda, du Burundi et enfin du Rwanda, petit pays vivant que du thé, voulant agrandir son territoire.
Laurent-Désiré Kabila, alors il était au pouvoir, premier voyage il va en Chine, deuxième voyage, il va à Cuba, troisième voyage il va en Yougoslavie. Le monde impérialiste a dit : mais écoutez, ce n’est pas différent de Lumumba ! Et lui-même était Lumumbiste et vous connaissez son sort...
Après, il y a eu 18 ans de Joseph Kabila. Venant au pouvoir très jeune, ne connaissant pas tous les méandres, il est resté dans le but d'amasser. Il a réellement amassé. Les autres puissances sont arrivées, particulièrement la Chine. Les Américains, comme toujours, n'ont pas aimé. Et il est arrivé ce qui est arrivé. On a fait ce théâtre-là où Félix Tshisekedi a pris le pouvoir. Nous faisons confiance.
DW: "Après moi, c’est le déluge." Vous vous rappelez de cette petite phrase du président Mobutu ? Voulez-vous dire qu'il n'avait pas raison ?
Jean Kambayi Bwatshia: Il avait raison. Il devrait avoir le déluge parce qu'on a dirigé le Congo sans programme. On a dirigé le Congo sans plan. Le roi Léopold II et tous les Belges de son époque jusque 1908 ont dirigé le Congo pour voler. Après eux, c’est le déluge.
Joseph Kasavubu, lui, il voulait installer un tout petit peu le semblant de démocratie. Après lui, c'était le déluge. Mobutu a pris le pouvoir, il a colonisé localement le Congo en installant sa dictature. Mais après lui, c'est le déluge.
Laurent-Désiré Kabila vient au pouvoir sans programme parce qu'on l'a pris, on l'a mis au pouvoir. Mais il devait donc exécuter le programme des autres. Il a subi l'agression rwando-ougando-burundaise. C'était le déluge.
Le pays continuera de déluge en déluge, jusqu'au moment où on va stabiliser nos institutions. C'est le déluge. C'est une affaire de ceux qui dirigent et de confiance qu'ils ont envers le peuple et envers la communauté internationale.