Mali : pas de sécurité sans retour de l'autorité de l'Etat
8 octobre 2021Hyperactif, sur tous les fronts et rarement derrière son bureau, le chef de la Minusma El-Ghassim Wane, a accepté de répondre à quelques questions de la DW.
Pour El-Ghassim Wane, "la situation est extrêmement préoccupante au centre du pays du point de vue des droits humains, avec des attaques qui se multiplient et qui visent la population civile, l'armée malienne et parfois aussi la Minusma."
Dans cet entretien, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies réagit aussi au bain de sang perpétré par des djihadistes présumés dans la région de Gao, à l'est, début août. Des attaques contre les villages de Karou, Ouatagouna et Daoutegeft avaient fait plus de 50 morts.
"Fondamentalement, la sécurité va être restaurée le jour où l'autorité de l'Etat sera restaurée dans toute sa plénitude", estime El-Ghassim Wane.
Pour lui, cette autorité doit être restaurée "non pas seulement dans sa dimension de défense et de sécurité, mais également dans sa dimension régalienne, concernant la justice, mais aussi dans la dimension d'un Etat qui s'emploie à satisfaire les besoins des populations locales."
Interview avec El-Ghassim Wane
Arrivé à Bamako en avril dernier, El-Gassim Wane, représentant du Secrétaire général des Nations unies au Mali et chef de la Minusma nous a accordé un entretien pour exprimer ses impressions sur l’état actuel du pays.
Interrogations quant aux élections, insécurité, départ des français de Barkhane de certaines enclaves où se trouvent les casques bleus, retour sur ces sujets qui font l’actualité malienne.
DW : L’accompagnement de la transition est un nouveau volet du mandat de la Minusma, comment cela se traduit-il ?
El-Gassim Wane : Nous apportons un soutien technique très significatif aux différentes structures maliennes chargées de l’organisation des élections. Nous avons des dizaines d’experts détachés auprès de différentes institutions maliennes.
Et nous apportons un appui logistique d’ores et déjà. Nous apporterons d’ailleurs ce type d’appui au moment même de la tenue des élections. Il sera crucial compte tenu des moyens dont nous disposons et du fait que nous sommes déployés dans les zones les plus difficiles. Des zones où, souvent, l’Etat n’est pas présent.
Nous apporterons également un appui aux forces de défense et de sécurité malienne pour organiser les élections dans des conditions qui soient les plus paisibles possibles.
DW : Et ces élections vont-elles être organisées selon le calendrier fixé ?
El-Gassim Wane : Je préfère que les Maliens s’expriment eux-mêmes à ce sujet. Mais notre rôle est de les appuyer pour réaliser les objectifs qui ont été fixés. Les autorités maliennes ont indiqué que le nouveau calendrier électoral sera connu à l’issue des assises nationales de la refondation. Nous aurons alors une indication beaucoup plus précise de ce qui est envisagé.
DW : Le dernier rapport trimestriel est sorti hier, quelles sont les tendances du pays et de quoi parle-t-il ?
El-Gassim Wane : Nous avons, au cours de la période sous examen, entre juin et septembre, enregistré quelques avancées. Nous avons notamment pu compléter le bataillon reconstitué à Kidal, nous avons également pu déployer les éléments qui étaient attendus pour que la compagnie reconstituée de Ménaka devienne un bataillon à part entière.
Le rapport parle également des questions liées au centre. La situation est extrêmement préoccupante, du point de vue des droits humains. Les attaques se multiplient contre les populations civiles, mais également les forces armées maliennes ou encore la Minusma.
Le rapport fait également le point de la transition en cours. Il exhorte les acteurs maliens à redoubler d’efforts pour que les objectifs fixés soient atteints, qu’il s’agisse de la paix au nord, de la stabilisation du centre ou de la transition.
DW : Le sud du Mali est aujourd’hui touché par l’insécurité, quel est votre constat à ce propos ?
El-Gassim Wane : C’est une réalité. L’insécurité au centre s’aggrave et s’étend. Des zones situées au sud ont également fait l’objet d’attaques. Y compris récemment dans la zone de Kayes, notamment contre un convoi de la gendarmerie malienne.
Tout ceci met en relief la gravité de la situation qui prévaut sur le terrain, mais c’est aussi une incitation à agir beaucoup plus fortement et rapidement pour essayer de contenir la situation sécuritaire et éviter qu’elle ne déstabilise l’ensemble du pays.
DW : Une mission de Casques bleus s’est rendue à Ouatagouna, où au moins 40 civils ont été tués récemment. Quelle est la situation sur place ?
El-Gassim Wane : Je veux d’abord réitérer la condamnation de l’attaque qui a eu lieu à Ouatagouna, lors de laquelle des dizaines de civils ont trouvé la mort. Elle illustre encore une fois tous les risques auxquels les populations sont exposées. Elles sont les cibles directes des groupes radicaux.
Cette mission de l’unité de groupe de reconnaissance longue portée des Britanniques déployés dans le cadre de la Minusma vise à renforcer le sentiment de sécurité des populations, à les rassurer et à apporter une protection dans la mesure du possible.
Mais fondamentalement, la sécurité sera restaurée le jour où l’autorité de l’Etat sera restaurée dans toute sa plénitude. Pas seulement dans sa dimension sécuritaire, mais également dans sa dimension régalienne concernant la justice, mais aussi d’Etat qui s’emploie à satisfaire les besoins des populations locales.
DW : L’armée française quitte les villes de Tombouctou, Kidal et Tessalit où vous êtes présents. Quels effets cela va-t-il avoir sur votre action ?
El-Gassim Wane : Il y a une réorganisation du dispositif français. Dans ce cadre, Barkhane va fermer ses emprises à Tessalit, à Kidal et Tombouctou. Mais nous avons l’assurance des autorités françaises que leur soutien va se poursuivre en cas de nécessité.
C’est un soutien que nous apprécions énormément, qui nous permet d’assurer au maximum la sécurité de nos emprises et de notre personnel.
Nous sommes bien évidemment soumis à des attaques. Notamment dans la localité d’Aguelhoc. Mais nos forces font preuve de détermination.
Au mois d’avril par exemple, elles ont répondu avec beaucoup de vigueur dans le cadre des résolutions du mandat qui nous est donné (quatre Casques bleus tchadiens avaient péri et des dizaines de djihadistes avaient été neutralisés – NDLR). Donc j’ai pleine confiance en nos forces à se protéger, à protéger nos populations locales, et je suis aussi rassuré du fait que la France continue à nous apporter son soutien.