Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali, vient de publier un livre intitulé "Le Mali entre vents et marées, tome 2" aux Editions universitaires européennes. Dans cet ouvrage, l'auteur pose un regard sur les événements, les conflits et les coups d’Etat, qui ont secoué le Mali de 2018 à 2022. Moussa Mara est interrogé par notre correspondant Georges Attino.
DW : Moussa Mara, bonjour. Vous publiez le livre "Le Mali entre vents et marées, tome 2" aux éditions universitaires européennes. Un livre dans lequel vous portez un regard sur le Mali et les événements qui ont secoué ce pays de 2018 à 2022.
Cette période est très intéressante en termes de faits historiques, mais aussi de leçons à tirer pour le futur. C'est pourquoi le livre a été rédigé. Nous avons eu la réélection contestée de IBK, nous avons eu la Covid-19, nous avons eu les massacres au centre du Mali, on a eu le coup d'Etat.
Pour la partie sur les coups d'Etat. J'ai rédigé trois articles sur les coups d'Etat. Le premier est pour dire que les coups d'Etat étaient parfaitement prévisibles, pas seulement au Mali, mais dans notre zone : la mauvaise gouvernance, le mauvais comportement des gouvernants et des élites ont atteint un niveau qui est difficilement tolérable pour les populations.
Le ras le bol des populations les amène à se confier aux forces alternatives et les militaires apparaissent clairement comme l'alternative la plus crédible et la plus organisée à la classe politique. C'est ce qu'on a vu au Burkina et ce que nous avons vu en Guinée, c'est ce qu'on a vu au Mali.
Évidemment, ce n'est pas normal que ce soient des militaires qui dirigent le pays parce que les militaires ont la vocation de défendre le territoire national, l'intégrité. Ils ne sont pas forcément spécialisés dans la gouvernance. Donc il faut aussi que la démocratie puisse toujours prévaloir, c'est à dire que les populations aient le choix de décider qui va pouvoir exercer, quelle responsabilité.
DW : Vous écrivez également que la militarisation du Sahel n'est pas de nature à amener une paix durable au Mali. Quelles peuvent être les solutions à envisager?
Le Mali a militarisé la police. J'ai récemment dit que c'est le contraire de ce qu'il fallait faire : c'était de politiser les militaires au lieu de militariser les policiers. Pourquoi? Parce que la menace à laquelle nous faisons face, on ne peut pas la traiter avec des régiments blindés, avec de l'infanterie, avec de l'artillerie, avec des avions, parce qu'elle n'est pas visible.
Ces menaces, on les traite avec de l'intelligence d'abord, et ensuite on les traite avec la complicité de la population. Et la police connaît mieux la population plus que l'armée. Donc on devrait amener l'armée à être plus complice, plus amie avec la population.
DW : Le débat s'intensifie ici au Mali sur le maintien ou le départ de de la Mission des Nations Unies au Mali. Faut-il maintenir les casques bleus au Mali ou faut-il plutôt revoir le mandat de la Minusma?
Quand la Minusma ou les Nations Unies arrivent dans un pays, ce pays devrait avoir la réflexion stratégique suivante : comment je vais faire pour qu'ils repartent? En fait, ça doit être la base.
Et donc, quels sont les jalons que je dois poser pour, moi, pour occuper les responsabilités qui sont les siennes?
Le Mali n'a jamais eu à se poser cette question, mais moi ce que je vois, c'est que la Minusma, on en a encore grandement besoin. Parce que la question du Nord n'est pas réglée, l'Accord d'Alger, relu ou pas relu, n'est pas réglé. Donc on a besoin au moins de ça pour régler cette question.
Il faudrait ajouter [à la MInusma] un peu plus d'offensive, un peu plus de troupes, un peu plus de moyens. Il faudra aller en parler aux Nations Unies.
Mais quoi qu'il en soit, ces choses se règlent diplomatiquement et politiquement. Ça ne se règle pas dans la rue ou par des marches ou par des meetings.
DW : Le 18 juin, les Maliens sont appelés aux urnes pour se prononcer sur le projet de constitution. Un projet de constitution que vous jugez trop présidentiel, qui selon vous, renforce le pouvoir du président.
… pouvoir qui était déjà exorbitant. La démocratie sous-entend des institutions solides et les institutions ne peuvent être solides que si elles se balancent, elles s'équilibrent.
S'il y a une institution qui est trop forte par rapport aux autres, il n'y a pas d'équilibre, il n'y a pas de balance. Et donc finalement, elle finit par vider la démocratie de son sens. Si vous avez un de ces pouvoirs qui est trop fort par rapport aux autres, les autres ne peuvent pas travailler comme ils doivent le faire et donc finalement la collectivité peut défaillir. C'est pourquoi il faut toujours veiller à ce que l'exécutif n'ait pas trop le pouvoir.
DW : La laïcité est un sujet épineux aujourd'hui au Mali. Des associations d'imams appellent au retrait de ce de ce mot. Quelle laïcité faut-il pour le Mali?
Cette question-là va conditionner, je pense, la stabilité du pays pendant les prochaines décennies. Parce que, justement, rien n'est écrit et rien n'existe. On dit simplement "on est laïc", mais il n'y a pas de contenu.
Je suis un avocat de la nécessité que le Mali ait une politique religieuse pour donner un contenu à sa laïcité. Il faut que nous travaillions avec les leaders religieux de toutes les religions et que l'État s'assume dans cette direction. C'est indispensable. On ne peut plus mener la politique de l'autruche, faire comme si ça n'existait pas, ce n'est pas possible.