Le verrou de l'information sur les violences à Moura au Mali
5 avril 2022Que s'est-il vraiment passé dans le village de Moura au Mali ? L'armée malienne affirme avoir tué "203 combattants” terroristes dans une opération menée entre le 23 et le 31 mars, dans le cercle de Djenné, centre du Mali. Une source nous précise que des membres de la Katiba Macina du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans étaient venus à Moura prélever la taxe islamique. Mais depuis, des doutes ont surgi quant à l'identité réelle des victimes. Des témoins parlent du "massacre” de civils, perpétré par des soldats maliens et des "alliés” étrangers qui pourraient être des mercenaires russes du Groupe Wagner. En Europe comme à l'Onu, ces violences inquiètent.
Siège et blocus
Moura a été encerclée pendant six jours. Et l'Etat-major général malien a beau rappeler dans son communiqué du 1er avril que "le respect des droits de l'Homme, de même que le droit international humanitaire reste une priorité dans la conduite [de ses] opérations", des témoins évoquent des pillages, des viols et des assassinats de civils.
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Mais au Mali, personne n'ose parler de ce qui s'est déroulé à Moura et plusieurs sources parlent d'un "climat de peur" qui s'est installé, la junte militaire au pouvoir réprimant les avis critiques sur son action. D'ailleurs, certains de nos interlocuteurs requièrent l'anonymat pour répondre à nos questions.
Grit Lenz, coordinatrice du réseau Fokus Sahel, confirme "la répression croissante" au Mali. Mais, ajoute-t-elle, cette répression "n'est pas perçue négativement par une grande partie de la population. Pas par tout le monde car il y a certainement aussi des gens qui se taisent car ils ont peur d'exprimer des critiques".
Le réseau Fokus Sahel trouve ce climat "très dangereux car il y a un rétrécissement de l'espace civique et la crainte que cela se pérennise, de supprimer les voix critiques".
Grit Lenz précise saluer "que le peuple malien prenne en main son destin et qu'il y ait un soutien pour la transition" mais elle souligne cette tendance à l'autoritarisme de la junte au pouvoir.
Human Rights Watch affirme que l'armée et les groupes islamistes seraient impliqués dans 107 meurtres de civils, dont des commerçants, des chefs de villages et même des enfants. 36 de ces meurtres seraient le fait de groupes armés, comme lors d'une embuscade, tendue à Bandiagara, que l'ONG qualifie de "carnage".
Les autres auraient été commis par des membres de l'armée malienne, dans des villages mais aussi dans le camp militaire de Diabaly, dans le cercle de Niono.
Des Fama s'y livreraient, avec le soutien de mercenaires russes du groupe Wagner, à des exécutions sommaires et des actes de torture, d'après une enquête du quotidien Le Monde, parue en février 2022.
Plusieurs gouvernements réclament une enquête
"Rien ne justifie la violence arbitraire contre des civils", rappelle une porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères. Berlin demande en effet aux autorités maliennes d'ouvrir une enquête indépendante sur les exactions signalées à Moura.
La France se dit "gravement préoccupée" et "appelle à[...] traduire les auteurs [de crimes] en justice".
L'Union européenne réclame que les Casques bleus de la Minusma aient accès à la zone. Et les Etats-Unis veulent une explication "crédible" au risque sinon de "saper […] la réputation des Fama".
Confiance de la population en son armée
De même que les sanctions de la Cédéao, ressenties comme injustes, ont soudé une partie de la population derrière la junte, une partie de l'opinion publique malienne "se sent heurtée dans son orgueil national", nous disait un interlocuteur malien de Sikasso cet après-midi [05.04.22], qui note que les soldats français de Barkhane qui ont bombardé une fête de mariage à Bounti, en janvier 2021, n'ont pas été sanctionnés.
Beaucoup de Maliens constatent aussi que "le terrorisme s'est généralisé en neuf ans de présence militaire française", pour reprendre les termes de notre interlocuteur. Alors ce qu'on entend beaucoup au Mali aujourd'hui, c'est l'impression qu'à nouveau "lorsque l'armée malienne arrive à des résultats, les Français sont jaloux et tentent de la discréditer".
Ce mardi matin, Oumar Mariko, président du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l'indépendance, était convoqué à la gendarmerie. L'homme de gauche, ancien membre du M5 et rival historique du Premier ministre Choguel Maïga, avait qualifié d'"inacceptables" les exactions commises par l'armée, notamment à Moura.