Boubou Cissé : "Nous assurerons la continuité de l’Etat"
31 juillet 2020Interview avec Boubou Cissé, premier ministre du Mali, le 30 juillet 2020. (audio disponible plus bas dans l'article)
DW : Monsieur le premier ministre, bonjour.
Boubou Cissé : Bonjour.
DW : Est ce que vous croyez que la crise malienne va trouver une solution?
Boubou Cissé : Je pense que toute crise a pour finalité de trouver une solution. Donc la crise malienne trouvera une solution et nous sommes en train de tout faire pour que cette solution arrive dans les délais les meilleurs.
DW : Malgré le plan de sortie de crise proposé par la Cédéao à un début de semaine, malgré votre main tendue, malgré celle du président IBK, le Mouvement du 5 Juin continue de persister et signer : ils exigent le départ du président. Est-ce que ce n'est pas déjà perdu d'avance?
Boubou Cissé : Je pense que le Mouvement du 5 Juin a évolué dans ses revendications. A mon avis, ce qui était demandé concernant le départ du président de la République n'est plus d'actualité aujourd'hui. Leur autorité morale a eu à se prononcer sur cela. Cela a été très clair aussi lors de la mission de la Cédéao, la ligne qui avait été tracée disait que ce sont des voies constitutionnelles qui amènemt quelqu'un à la magistrature suprême et à diriger un pays. Le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, a été élu. Il a cinq ans de mandat, il lui reste encore quelque temps et tout le monde est d'accord aujourd'hui pour dire qu'il devrait aller jusqu'à la fin de son mandat.
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DW : Mardi dernier, vous vous êtes rendu en fin de soirée à la résidence de l'imam Dicko, qui est l'autorité morale de la contestation. Qu'est-ce que vous vous êtes dit?
Boubou Cissé : J'y suis allé déjà pour parler avec lui de l'esprit qui a été derrière la mise en place de l'exécutif restreint qui venait de se mettre en place la veille. Le Président de la République, conformément à la recommandation de la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement de la Cédéao, a décidé de mettre en place un exécutif restreint de six ministres, six ministères régaliens. Déjà, pour assurer la continuité de l'Etat, et prendre en charge les affaires courantes, mais aussi pour que cette équipe entame des négociations avec le M5 et aussi mettre en œuvre les recommandations de la Cédéao concernant le Parlement, la Cour constitutionnelle, mais aussi d'autres recommandations dont on a eu à discuter concernant les enquête sur les tueries, qui ont eu lieu les 10 et 11 (juillet 2020). Je lui ai expliqué cela et je lui ai demandé aussi d'aider à mettre en œuvre les recommandations, conscient qu’elles ne pourraient se mettre en œuvre s’il n’y avait pas de dialogue ouvert, franc, avec le M5.
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Ecoutez ici la version audio de l'entretien:
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DW : Et qu'est-ce qu’il vous a répondu ?
Boubou Cissé : J’ai trouvé un homme ouvert, évidemment, à ce que le dialogue se fasse entre les différents acteurs, entre les enfants du Mali et un homme qui souhaiterait qu’on arrive, le plus rapidement possible, à une solution de sortie de crise et à un retour à la normalité. Il nous a parlé aussi d'un certain nombre de contraintes qui existent du côté du M5 et de son côté aussi, sur lesquelles il va falloir que nous travaillions. Evidemment, la question de ceux qui sont tombés malheureusement devant chez lui ou sa mosquée a été discutée. C’est une question sur laquelle nous sommes en train de tout faire pour trouver comment situer les responsabilités. Une information judiciaire a été ouverte. Le procureur général a été saisi et l'enquête est en cours. Toutes les diligences seront prises pour situer les responsabilités et suivront les sanctions par la suite.
DW : Pourtant, selon nos informations, l'imam Dicko vous aurait demandé de démissionner de vos fonctions.
Boubou Cissé : Oui, l'imam m’a parlé de cela. Mais ma démission n'est pas à l'ordre du jour. Le président de la République est celui qui a cette prérogative-là, de nommer son premier ministre et, éventuellement, de le faire démissionner s'il n'est pas satisfait. Il est le seul à pouvoir le faire. Pour l'instant, il ne m'a pas montré cela - au contraire. Nous sommes en totale phase par rapport à tout ce qui se passe, par rapport à la tentative de solution de sortie de crise et le président de la République souhaite que je puisse continuer à m'occuper du programme de travail gouvernemental.
La formation d'un gouvernement d'union nationale
DW : Où est-ce que vous en êtes, avec les tractations, les démarches, les consultations en vue de la formation du gouvernement d'union nationale?
Boubou Cissé : Je dirais que les discussions vont bon train. On a élaboré un projet de feuille de route. Nous souhaitons une adhésion des différents acteurs derrière cette feuille de route - de la majorité présidentielle, évidemment, des acteurs de l'opposition, mais également de la société civile. Cette feuille de route sera l'agenda de ce gouvernement d'union nationale qui se mettra en place. Nous sommes en train de finaliser la feuille de route. Elle a été distribuée à l'ensemble des acteurs. En ce moment, leurs commentaires nous arrivent. Certes, l’opposition n'est pas encore totalement en phase avec la feuille de route, mais nous continuons les négociations et nous espérons que dans les jours à venir, on pourra rassembler l'ensemble des acteurs derrière cette feuille de route. Une adhésion totale et complète. Cette adhésion nous permettra d'aller vers la mise en place du gouvernement d'union nationale.
DW : Est-ce que vous aviez déjà rencontré les leaders du Mouvement du 5 Juin?
Boubou Cissé : Ça ne saurait tarder. Les contacts ont été établis avec certains des leaders, des rendez-vous ont déjà été fixés… c’est en cours.
DW : Vous croyez fermement que ces leaders vont accepter d'intégrer ce gouvernement d'union nationale?
Boubou Cissé : En tout cas, leur présence dans ce gouvernement est fortement désirée. S’ils acceptaient de joindre leurs forces à l’équipe qui est là, je pense qu'il y a un certain nombre de préoccupations que nous partageons avec eux qui pourront être plus facilement prises en charge avec leur contribution. Ce sont des personnes de qualité et bien évidemment, leur place dans une équipe de ce type est, dans le contexte dans lequel le Mali est aujourd'hui, justifiée… et nous les accueillerons avec beaucoup de plaisir.
DW : Choquel Kokala Maïga, l’un des responsables du M5, a déclaré ceci : "Le seul mot d'ordre [de nos manifestations à venir] demeure la démission du président IBK."
Boubou Cissé : Cela n’engage que celui qui l'a prononcé. Moi, ce que je retiens et qui est sorti des discussions entre l’ensemble des acteurs, du M5-RFP, les chefs d'Etat de la Cédéao, et aussi le mot d'ordre de leur autorité morale, c’est qu’il n'est plus question de démission du président de la République. Pour moi, ce débat est derrière nous depuis un certain temps.
DW : On a également appris que certains députés, faisant partie de la trentaine de députés sommés par la Cédéao de démissionner, certains d'entre eux se refusent de le faire. Est-ce que vous confirmez?
Boubou Cissé : Oui, oui. Et je pense que c’est quelque chose qui est normal. C'est une décision, évidemment, vers laquelle nous allons aller en espérant que l’ensemble de ces 31 députés le comprendrait, mais il est normal qu’ils aient cette réaction au début. C’est une décision qui est sage, de la part des chefs d'État, et qui pourra beaucoup aider à régler les difficultés auxquelles nous faisons face. Mais c’est une décision qui a besoin de davantage d'explications pédagogiques auprès de quelques-uns qui sont en train de faire de la résistance. Mais j'ai bon espoir qu’on puisse arriver assez rapidement.
DW : Vous savez ce que disent certains juristes constitutionnalistes maliens ou africains : que demander à un député de démissionner est anticonstitutionnel.
Boubou Cissé : Toutes les recommandations qui ont été faites ont été aussi amplement analysées et étudiées par des constitutionnalistes de la sous-région.
DW : Beaucoup de Maliens nous confié ceci : C'est bien beau de proposer une porte de sortie de crise, mais les problèmes de fond du Mali demeurent. L'insécurité dans le Nord, la mauvaise gouvernance, la corruption, le clientélisme. Qu'est-ce que vous leur répondez?
Boubou Cissé : Mais c’est cela l'idée même de la feuille de route qui est proposée et pour laquelle, nous souhaitant l'adhésion du M5-RFP. Pour nous, l'idée n'est pas d’être dans le déni. Ce sont des réalités. Le gouvernement qui avait été mis en place avant même celui que j'ai l'honneur de diriger avait commencé à prendre en compte un certain nombre de ces problèmes liés aux réformes, liées à la gouvernance. Et nous allons continuer. Et nous souhaitons continuer avec d'autres acteurs, des Maliens tels que l'opposition et la société civile.
DW : Que va-t-il se passer si jamais les leaders du M5 refusaient d'intégrer le gouvernement d'union nationale?
Boubou Cissé : Notre souhait et, personnellement, mon voeu le plus ardent, est qu'on puisse trouver un consensus autour de cette feuille de route avec l'opposition, en particulier avec le M5-RFP. C'est notre souhait. Maintenant, à l'impossible nul n'est tenu. Le pays devra avancer. Les hommes passent mais le pays doit demeurer. Donc nous allons assurer la continuité de l'Etat avec les forces vives de la nation qui accepteront de nous accompagner.
DW : Donc avec ou sans le M5, le gouvernement d'union nationale verra le jour, c’est ça ?
Boubou Cissé : Le gouvernement d'union nationale verra le jour avec les forces qui accepteront d’en faire partie, oui.
DW : Est-ce que vous attendez quelque chose de l'Allemagne?
Boubou Cissé : l'Allemagne est un partenaire important du Mali. Elle fait beaucoup de choses sur le plan sécuritaire, sur le plan économique dans notre pays, et aujourd'hui sur le plan socio-politique. Nous espérons qu'elle va continuer et surtout renforcer cette coopération.
DW : Monsieur le premier ministre, merci beaucoup.
Boubou Cissé : Merci à vous.
L'entretien avec Boubou Cissé a été mené par Eric Topona.