Niger : la liberté d'expression menacée
26 octobre 2023Ce jeudi 26 juillet 2023, cela fait trois mois exactement que des militaires ont renverséle président Mohamed Bazoum et pris le pouvoir à Niamey.
L'occasion de tirer un premier bilan des évolutions durant ce trimestre sous régime d'exception. Les défenseurs des droits humains sont inquiets.
Cherté de la vie et sécurité
Il y a d'abord le quotidien des Nigériens. Avec l'augmentation des prix des denrées alimentaires, surtout les céréales, et notamment le riz.
Des pénuries aussi, pour certains produits pharmaceutiques, comme nous l'a raconté un habitant d'une région frontalière avec le Burkina Faso.
Mais, selon lui, même si la population souffre, elle comprend la situation difficile, liée au blocus économique de la Cédéao et aux groupes armés toujours présents :
"[Les militaires] se sont tellement concentrés sur la sécurité que beaucoup de points n'ont pas pu être résolus, explique-t-il. Du point de vue économique, il n'y a pas eu de changement pratiquement parce qu'ils n'ont pu entreprendre aucun travail.[…] On est solidaires à 100% de ce gouvernement, vraiment."
Cet habitant affirme que dans sa région de Say, non loin de Tillabéry, les patrouilles de l'armée sont plus fréquentes et qu'elles ont pu endiguer le vol de bétail. Les soldats, plus visibles, encadreraient aussi selon lui des convois de vivres en provenance du Burkina Faso.
Soutien aux militaires
L'adhésion d'une certaine frange de la population aux nouveaux dirigeants ne fait pas de doute. L'habitant que nous venons de lire affirme par ailleurs que, depuis le coup d'Etat, "les langues se sont déliées".
Pas sûr, cependant. Plusieurs personnes ont refusé de répondre à nos questions.
De l'avis d'Abdoulaye Kanni, le coordonnateur national du Réseau nigérien des droits humains, si seules les manifestations de soutien au pouvoir se multiplient, c'est qu'il n'est pas aisé d'exprimer des critiques.
Ecoutez l'interview avec Abdoulaye Kanni ci-contre
"Aujourd'hui, on assume le principe que "tout ce qui n'est pas avec nous est contre nous", constate Abdoulaye Kanni. "Celui qui ne s'accorde pas avec cela est une voix discordante, considérée comme hostile à la patrie. De sorte qu'il est très difficile de travailler pour un journaliste. Nous le constatons sur le terrain, nous qui y vivons."
Intimidations et arrestations arbitraires
Dans un communiqué commun, les ONG Human Rights Watch (HRW) et Amnesty international dénoncent aussi le harcèlement, les intimidations et les arrestations subis par des "journalistes, des jeunes et des opposants politiques présumés" qui tentaient d'exprimer une opinion différente.
Ilaria Allegrozzi, de Human Rights Watch, rappelle que depuis le 26 juillet, plusieurs journalistes nigériens et internationaux ont été agressés en ligne et physiquement.
Elle énumère quelques exemples : "Les autorités militaires ont suspendu des chaînes d'information internationales telles que RFI ou France 24. Rappelons aussi que la journaliste Samira Sabou, critique de la junte, a été arrêtée chez elle par des membres des forces de sécurité et a été portée disparue pendant sept jours. Rappelons également que le chef de la junte a annoncé sans explication la révocation des six universitaires qui avaient signé une pétition dans laquelle ils prenaient leurs distances avec une déclaration du Syndicat national des enseignants et chercheurs qui apportait son soutien à la junte."
Ecoutez l'interview avec Ilaria Allegrozzi de HRW ci-cntre
"L'autocensure comme tactique de survie"
Ces mots sont ceux d'un journaliste nigérien cité par Human Rights Watch.
Abdoulaye Kanni et d'autres défenseurs des droits humains nigériens que nous avons interrogés confirment qu'ils développent des stratégies pour pouvoir continuer à travailler – notamment la mise en "synergie" des réseaux ouest-africains et panafricains.
Quand on lui demande si c'est une façon de se sentir plus forts et de se protéger contre une éventuelle répression quand on parle à plusieurs voix, il répond : "Voilà ! Et de se dire que dans ce travail-là, nous ne sommes pas seuls."
Et Mohamed Bazoum?
Une autre revendication importante de Human Rights Watch et Amnesty international est la libération immédiate des personnes détenues "arbitrairement" par le régime militaire.
Les opposants, entre autres, et notamment le président déchu, Mohamed Bazoum, détenu avec sa femme, ou encore plusieurs anciens ministres qui ont été incarcérés.
Les ONG se disent préoccupées notamment par le fait que ces personnalités politiques – des civils – soient poursuivies par des juridictions militaires, ce qui va à l’encontre des procédures régulières.
Au Niger, la justice a ordonné mardi [24.10.23] la libération de l'ancien chef d'état-major des armées, le général Souleymane Salou. Il avait été condamné en 2018 à 15 ans de prison pour son implication dans une tentative de coup d'Etat contre le président de l'époque, Mahamadou Issoufou – c'était en 2015.