Niamey critique la stratégie anti-terroriste du Burkina
26 mai 2023Dans un entretien accordé au mensuel Jeune Afrique, le président nigérien Mohamed Bazoum revient sur la stratégie de lutte contre les attaques djihadistes dans le Sahel. Et selon lui, le recours au Burkina Faso aux volontaires pour la défense de la patrie, les VDP, n'est pas la bonne stratégie.
Ce n'est pas la première fois que Mohamed Bazoum critique ses voisins. En 2021 par exemple, il avait affirmé qu'il sera très difficile de combattre le groupe djihadiste État islamique au grand Sahara (EIGS) aussi longtemps que "l’État malien n’aura pas exercé la plénitude de sa souveraineté" et ajouté que "la situation actuelle au Mali a un impact direct sur la sécurité intérieure du Niger" des propos qui avaient suscités de vives critiques à Bamako.
Une stratégie dangereuse
"Les VDP ne sont pas la solution" : le président nigérien le dit sans aucune ambiguïté. Selon lui, c'est par expérience que le Niger n'a pas choisi cette option pour mener sa lutte contre le djihadisme.Il assure d'ailleurs avoir mis en garde ses homologues, burkinabè notamment, sur les dangers d'une telle stratégie.
Selon Mohamed Bazoum, distribuer des armes à des civils pour lutter contre des terroristes les expose à de graves dangers en affrontant des combattants aguerris. Par ailleurs, le président nigérien estime qu'il y a un risque que ces VDP, recrutés et formés à la hâte, commettent des abus et des crimes.
Un point de vue que partage le politologue Mounkaïla Mossi pour qui assurer la sécurité d'un pays est la mission de l'armée et non des milices d'autodéfense.
"Faire la guerre c'est un art. Et c'est confié à l'armée. C'est une erreur d‘impliquer des civils dans une guerre qui est vraiment compliquée, même sur le plan militaire. Pour faire la guerre, il faut aussi une stratégie militaire mais là c'est comme si on exposait les civils. Les violences vont juste s'accentuer (…) Et puis c'est très compliqué ensuite de procéder au désarmement. Vous avez vu l'exemple du Niger avec la création de groupes d'autodéfense, on a des cas pratiques qui montrent que c'est une erreur", assure-t-il.
Pour lutter contre les attaques terroristes récurrentes, par exemple à Tillabéri, dans la zone dite des "trois frontières" entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso, des milices d'autodéfense avaient été formées en vue d'assurer la sécurité de la région.
A l'époque déjà, les critiques portaient sur les conséquences en matière de coexistence entre les différentes communautés.
Au Burkina Faso, les VDP sont en effet souvent accusés de pillages et d'exactions ciblées sur des populations civiles.
Une nouvelle dynamique
Selon Daniel Kéré, politologue et enseignant chercheur à l'Université Thomas Sankara au Burkina, chaque stratégie a ses forces et ses faiblesses et il est trop tôt pour dire si les volontaires civils sont une mauvaise option.
Selon lui, "c'est au niveau des résultats qu'on se rendra compte s'il s'agit d'une erreur ou s'il s'agit d'une initiative louable. Mais déjà, ce qu'on peut dire, c'est qu'au Burkina Faso, le gouvernement a décidé de restaurer le service militaire obligatoire. Je pense que cette disposition permettra de corriger toutes ces insuffisances (…) Dans cette dynamique, on n'aura plus besoin de volontaires qu'on appelle pour défendre la patrie. Tout le monde devient réserviste de facto et le corps des volontaires VDP sera d'office supprimé."
En attendant, le Burkina Faso continue de miser sur les VDP. Le pays a déjà lancé au moins trois campagnes de recrutement pour grossir les rangs de l'armée. Des recrutements notamment au sein des Volontaires pour la défense de la patrie.