Passé colonial : quelle réparation pour les victimes ?
28 juin 2021Plutôt que de parler de réparation, Olivette Otele préfère parler de justice réparatrice. Cette historienne concentre ses recherches sur la colonisation.
Ses domaines de prédilection, à l'Université de Bristol, sont le passé colonial de la France et la Grande Bretagne. Quand elle est devenue la première figure noire à enseigner l'histoire, cela a déclenché un tollé.
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Pour elle, les réparations ne consistent pas en un simple paiement mais elles englobent toute une série de mesures qui sont censées relever les traumatismes du passé et essayer, d'une certaine manière, à les réparer. Concrètement, on peut décider de soutenir des secteurs tels que l'éducation et la santé dans une ancienne colonie.
Quand on considère comment a lieu le débat politique sur la question en Europe, on s'aperçoit que les ex-puissances coloniales sont encore très loin de cette démarche constructive, soutient l'historienne.
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La Belgique et le Congo
Le règne de la Belgique sur le Congo était si brutal que même les autres puissances coloniales étaient choquées. Au début du 20e siècle, des millions de Congolais ont été humiliés et brutalisés.
C'est seulement en 2020, soit 60 ans après l'indépendance du pays, que le roi belge Philippe envoie une lettre au gouvernement de Kinshasa dans laquelle il exprime ses "plus profonds regrets pour les blessures du passé". Certaines riches familles belges sont critiquées pour avoir bâti leur fortune sur les ressources du Congo.
L'Italie et l'Afrique du Nord
L'Italie a présenté ses excuses officielles en 2008 pour les crimes durant la colonisation en Libye, dans le cadre d'une visite du Premier ministre d'alors, Silvio Berlusconi. Celui-ci avait conclu un accord avec l'ex-dirigeant libyen Mouammar Kadhafi sur le paiement de quatre milliards d'euros destinés à des projets de construction d'infrastructures.
Mais il s'agissait plus d'un règlement que d'une réparation car la partie libyenne s'était engagée en contrepartie à exporter davantage de pétrole brut vers l'Italie et retenir les migrants qui veulent embarquer depuis les côtes de la Libye vers l'Europe via la méditerranée.
Le Portugal et le commerce d'esclaves
Les marins portugais étaient en pointe dans la traite atlantique. Beaucoup de Portugais se montrent encore fiers des anciens marins qu'ils considèrent comme des gens audacieux, tout en faisant l'impasse sur la brutalité de ces derniers.
Le Portugal a longtemps gardé ses colonies. L'Angola n'a été indépendant qu'en 1975.
Mais c'est seulement 500 ans après que la mémoire des victimes du colonialisme a été honorée à travers un monument. Le débat sur l'histoire coloniale du Portugal divise encore le pays.
Les Pays-Bas et l'Asie du sud-est
En 2020, les Pays-Bas ont payé pour la première fois des dédommagements aux victimes des violences coloniales commises par des troupes néerlandaises en Indonésie. Mais il s'agissait de petites sommes versées aux ayant-droits.
En général, les Pays-Bas s'opposent au paiement de réparations. Le gouvernement avait entre-temps présenté ses excuses pour les violences commises par ses soldats, surtout durant les années 1940 en Indonésie.
A l'époque, des milliers d'Indonésiens ont été exécutés dans le cadre de ce qui est appelé la "guerre antiguérilla". Le roi Willem Alexander a officiellement exprimé ses regrets à propos de cette période.
Les "actes de violence incontestables" de la France
Durant un voyage en Afrique en 2017, le président français Emmanuel Macron a plaidé en faveur d'une réconciliation entre les ex-puissances coloniales et les pays colonisés. Il s'était opposé au paiement d'une quelconque réparation. Dans une interview télévisée, Emmanuel Macron jugeait "ridicule" que la France se contente de solder financièrement son passé colonial.
Au même moment, il indiquait que les crimes coloniaux étaient "incontestables". En 2001, la France a adopté une loi historique reconnaissant le commerce des esclaves comme "un crime contre l'humanité".
En revanche, la discussion sur la guerre d'indépendance en Algérie continue de diviser les acteurs politiques français.
"Le débat sur la question de la justice compensatoire est complètement dans l'impasse", remarque l'historienne Otele. La France n'a, selon elle, rien fait dans cette discussion. Certains pensent aujourd'hui, que le retour de biens culturels est une forme de réparation. "Moi, je ne suis pas d'accord avec une telle opinion", affirme l'historienne.
La Grande-Bretagne et l'empire
Londres écarte aussi l'idée de réparation ou de règlement financier. Et même s'agissant de reconnaissance d'une injustice, le pays fait des pas lents. Lors d'une visite en Inde en 2013, le Premier ministre David Cameron a tout de même présenté ses excuses aux victimes des massacres d'Amritsar en 1919.
Dans le même temps, il signalait sa conviction que certaines avancées avaient été faites et dont on pourrait être fier. En 2020, 43% des Britanniques partageaient cet avis, selon un sondage.
Dans certains cas rares, la Grande-Bretagne a payé des dédommagements à des victimes d'actes de violence, comme c'est le cas des Mau Mau du Kenya, massacrés dans les années 1950. Cependant, il s'agissait de dédommagements individuels.
L'historienne Otele croit que les officiels britanniques demeurent dans le déni. Plus encore, affirme-t-elle, des Britanniques continuent de parler de ce passé qui serait sans égal, où l'histoire coloniale avec sa mission civilisatrice aurait été écrite avec bravoure.
Certains pays étaient-ils plus progressistes que d'autres ?
Pour Olivette Otele, il n'y a pas de bons ni de mauvais exemples dans ce débat. Ce que l'on apprend du passé est que l'on ne peut pas le changer, estime-t-elle.
"Nous devons apprendre à vivre ensemble et de manière constructive". Pour l'historienne, un Etat ne peut pas se servir de l'argent pour compenser l'injustice.
"Qu'est-ce que cela apporte, quand on donne de l'argent juste à un groupe de personnes constitué de l'élite gouvernante ?", interroge-t-elle.
Cependant des initiatives existent indépendamment de ce qui est fait officiellement. Il y a des fondations ou des universités qui mènent des actions en faveur de la justice pour entraîner le changement tant souhaité.
Olivette Otele cite l'exemple de l'Université de Glasgow qui investit plusieurs millions dans l'enseignement et le dialogue avec des pays des Caraïbes. "Ce n'est peut-être pas la solution mais je salue toute initiative qui vise à rectifier les erreurs et les traumatismes du passé", insiste Otele.