La tension diplomatique est vive entre la RDC et le Rwanda suite à l’avancée des rebelles du M23 dans le territoire de Rutshuru, dans le Nord-Kivu.
Kinshasa a décidé d’expulser l’ambassadeur du Rwanda et de rappeler son chargé d’affaires à Kigali. Pour la RDC, le départ du diplomate rwandais change tout entre la RDC et le Rwanda.
"Nous ne pouvons plus considérer que les autorités rwandaises méritent la confiance des Congolais", affirme ainsi Christophe Lutundula, le ministre congolais des affaires étrangères, qui est notre invité de la semaine.
Il répond aux questions de Saleh Mwanamilongo.
Interview de Christophe Lutundula
Monsieur Christophe Lutundula, bonjour! La RDC accuse le Rwanda de soutenir les M23. Cette semaine, vous avez notifié à l'ambassadeur rwandais Vincent Carré son expulsion du territoire congolais et vous avez rappelé votre chargé d'affaires en poste à Kigali. Est-ce une situation de non-retour dans les relations avec le Rwanda?
Non. Les relations entre les États, entre les hommes, obéissent à des dynamiques politiques, sociales et économiques. Ce qui est vrai, c'est qu'à la date d'aujourd'hui, tout en restant ouverts à la recherche des solutions par le dialogue, nous, nous ne pouvons pas considérer que les autorités rwandaises méritent encore la confiance des Congolais et que leurs intérêts sont toujours compatibles avec les nôtres. Je crois que, en toute relation, la confiance et l'intérêt mutuels sont un facteur fondamental.
Quel avenir prédisez-vous aux relations entre Kigali et Kinshasa?
Mais l'avenir dépendra de ce que je viens de vous dire. C'est aux autorités rwandaises de savoir ce qu'elles veulent. Le président Tshisekedi est arrivé au pouvoir il y a quatre ans. En 2019, il a démontré suffisamment sa volonté de normaliser les relations avec tous nos voisins. On a même passé des accords de coopération, y compris dans le domaine sécuritaire avec le Rwanda. [Le chef de l'Etat congolais] s'est rendu plusieurs fois à Kigali. Le président Kagamé a été même accueilli, dites vous bien, triomphalement, à Goma. Donc moi, je pense que c'est à eux de savoir ce qu'ils veulent.
Aujourd'hui, le M23 progresse et menace de prendre d'autres localités près de la ville de Goma, après avoir déjà pris le contrôle de Bunagana, Rutshuru centre et Kiwanja. A quoi aura servi l'état de siège? Et peut on parler d'un échec du gouvernement et de l'armée de RDC?
Comment pouvez vous parler d'échec alors que tout le monde sait que derrière les M23, derrière le poussin, il y a la poule ? C'est-à-dire l'armée rwandaise, facilitée par d'autres forces extérieures que l'on connaît. Donc le M23 n'est qu'un prête-nom. Ça, c'est très clair. Notre armée fait face à des armées conventionnelles et à un mouvement des terroristes.
Christophe Lutundula, sur le plan diplomatique et l'Union africaine, et la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Est, et les Nations unies appellent à la retenue et au dialogue. Sur quelle base partira ce dialogue et avec qui?
Mais j'espère que vous suivez les informations. Nous avons le processus de Luanda. On a une feuille de route, nous avons le processus de Nairobi. Voilà. C'est le Rwanda qui a bloqué ce processus-là. Le dialogue était en cours. J'allais même dire qu'il continue. Mais ce sont eux qui ne veulent pas de dialogue.
L'ancien président kényan Uhuru Kenyatta, facilitateur désigné par les chefs d'Etat de la Communauté d'Afrique de l'Est, annonce la reprise ce jeudi du processus de Nairobi. Êtes-vous prêt à dialoguer avec le M23?
Je vous informe que l'équipe qui représente la RDC dans le secrétariat du processus de Nairobi était déjà à Nairobi pour reprendre les consultations.
Par rapport au M23, tant que le M23 est dans la position à l'Est, nous ne voyons pas comment nous pouvons négocier. On ne négocie pas avec un groupe terroriste.
Donc si aujourd'hui toutes les conditions sont réunies, que M23 fait son mea culpa et n'est plus un mouvement terroriste... alors, on verra ce que cela va donner. [...]. Il ne s'agit pas de négociation pour qu'on arrive aux recettes habituelles, comme une fusion, ou une intégration. Les histoires comme ça, non, non, non, ça c'est fini là.
Plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Goma contre le Rwanda. Ils l'ont fait il y a quelques mois aussi contre la Monusco. Est-ce que l'armée congolaise, les FARDC, peut venir à bout des M23 sans l'appui des Casques bleus?
Au moment où nous parlons, ce sont les militaires des FARDC qui se battent contre le M23 et l'armée rwandaise. La Monusco n'est pas mêlée à quoi que ce soit.
Et que doit faire la communauté internationale dans cette situation?
Mais c'est simple, je pense que la communauté internationale n'a plus à discuter sur ce qu'il faut faire. Il y a un tronc commun, un consensus qui comprend les éléments suivants : condamnation des attaques et des activités des M23 contre la République, retrait immédiat et sans condition des M23 des territoires occupés, retour des Congolais à leur domicile, cessation du soutien au M23 et simple dialogue Ruanda-Ouganda-RDC. Parce que tout le monde sait que le Rwanda et l'Ouganda ont une responsabilité.
Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, de nous avoir accordé cette interview.