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M23, Rwanda, Monusco… interview exclusive de Martin Fayulu

10 novembre 2022

L'opposant congolais appelle sur la DW à la mise en place d’une nouvelle mission de l’Onu pour mettre un terme à l’insécurité dans l’Est de la RDC.

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Martin Fayulu en visite à la DW à Bonn
Martin Fayulu accuse le Rwanda et l'Ouganda de piller la RDCImage : Dirke Köpp/DW

Selon Martin Fayulu, la Monusco a échoué et il faut en tirer toutes les conséquences en créant une nouvelle mission de maintien de la paix avec un mandat plus robuste.

Martin Fayalu accuse aussi le Rwanda et l’Ouganda d'agresser la RDC et il critique le silence de la communauté internationale face à ce conflit. Il était ce mercredi (09.11.2022) en visite dans nos locaux de la DW en Allemagne.

La tension est particulièrement vive entre Kinshasa et Kigali depuis la résurgence fin 2021 du M23, ancienne rébellion tutsi qui a repris les armes en reprochant à Kinshasa de ne pas avoir respecté des accords sur la démobilisation de ses combattants. 
Kinshasa accuse le Rwanda de soutenir cette rébellion, ce que Kigali conteste.

Interview avec Martin Fayulu


DW : Comment réagissez-vous à la reprise des hostilités dans l'est du Congo entre les rebelles du M23 et l'armée congolaise ?

Martin Fayulu Je voudrais simplement dire que ce ne sont pas les hostilités des rebelles. Le Congo est attaqué. Le Congo est attaqué par des pays voisins, notamment le Rwanda et l'Ouganda. Donc, c'est ça qu'il faut que les gens comprennent. Alors, le Congo est attaqué et aussi abandonné par la communauté internationale parce que les gens parlent de ce qui se passe en Ukraine. Ce qui se passe en Ukraine, c'est extrêmement grave. On tue, on pille et la vie des gens est menacée. Mais, ce qui se passe aussi au Congo est autant grave parce que, au Congo, on tue, on pille et les gens n'ont pas de vie. Au Congo, il y a dix millions de Congolais qui ont été tués. Depuis que cette affaire a commencé, depuis 1994 au Congo, il y a aujourd'hui six millions de Congolais qui sont des déplacés internes, plus d'un million de Congolais qui sont des réfugiés, qui ont quitté leur pays parce qu'on les a forcés de quitter le pays. Au Congo, il y a plus de cinq millions d'enfants en âge de moins de cinq ans qui n'ont pas à manger. Ils sont malnutris et ils n'auront pas de croissance. Alors donc, maintenant, ce que je dis, le problème, ce ne sont pas des rebelles, c'est des armées étrangères qui attaquent le Congo. Il faut que les gens le prennent comme ça.

Vous citez le Rwanda qui serait l'agresseur du Congo. Alors, quel intérêt a le Rwanda à agresser le Congo ?

Le Rwanda dit qu'il y a une partie de son territoire qui se trouve au Congo. Vous n'avez pas entendu ça ? Le Rwanda exploite les ressources naturelles du Congo, le coltan congolais, l'or congolais etc.

Vous avez des preuves que le Rwanda exploite toutes ces ressources ?

Martin Fayulu : Mais le Rwanda met ces matières dans ses exportations. Le Rwanda a une raffinerie d'or. Le Rwanda n'a pas d'or dans son sol, dans son sous-sol. Où est-ce que le Rwanda trouve cet or-là ? Tout l'or que le Rwanda exporte où est-ce que le Rwanda trouve ça?  Un autre intérêt du Rwanda, c'est de déplacer des gens, de chasser les Congolais de leur territoire et de mettre des Rwandais sur ce territoire. Et c'est cela qu'on constate aujourd'hui. Donc ce sont les intérêts du Rwanda, l'hégémonie de Mr Kagamé. Il croit qu'il va dominer cette partie du continent et nous lui disons que non. Le peuple congolais n'acceptera jamais que son pays soit balkanisé.

Des rebelles du M23 à Goma dans l'est de la RDC
De nombreux groupes armés continuent de sévir dans l'est de la RDCImage : Joseph Kay/AP Photo/picture alliance

Le gouvernement congolais a expulsé récemment l'ambassadeur du Rwanda à Kinshasa. C'est une bonne mesure, selon vous, une bonne décision ?

On le demande depuis longtemps. L’Union africaine doit prendre des décisions contre le Rwanda. Les Nations Unies doivent prendre des décisions contre le Rwanda, et même tous les pays épris de paix et de justice doivent intervenir et sanctionner le Rwanda. On ne peut pas continuer avec un pays qui agresse un autre pays et que toute la communauté internationale regarde comme si de rien n'était.

Vous parlez de la communauté internationale. La Monusco est pourtant présente en République démocratique du Congo. On se demande qu'est-ce qu'elle fait concrètement ? Est-ce que vous êtes pour le départ de cette force onusienne, comme de nombreux Congolais le demandent ?

Je suis pour qu'on arrête la mission actuelle de la Monusco. La mission de stabilisation ne peut pas stabiliser quelque chose qui n'existe pas. Mais, je suis par contre pour qu'on établisse une autre mission, un autre mandat, une mission des Nations Unies qu'on appellera Opération des Nations Unies au Congo pour établir la paix au Congo. Donc, c'est très clair. Aujourd'hui, la mission tel que dessinée par les Nations Unies, cette mission a échoué. On n'a pas pu maintenir la paix. Maintenant, le pays est dans une situation extrêmement difficile. Le pays est attaqué. Il faut une mission robuste des Nations Unies, une mission où les gens vont combattre comme on a fait en 1960. En 1964, au Congo.

Il y a l'Afrique de l'Est qui tente aussi de voler au secours du Congo. Le Kenya qui va envoyer des soldats dans l'est de la République démocratique du Congo. Est-ce que la solution aussi, elle ne peut pas être sous régionale ?

Martin Fayulu : Vous avez déjà vu le pyromane aller éteindre le feu ?  C'est vrai que les pays peuvent avoir des intérêts économiques, commerciaux, on n'en disconvient pas. Mais ces pays-là, le Rwanda, l'Ouganda eux veulent une portion du pays, surtout le Rwanda.

C'est l'armée kényane qui veut se déployer auCongo.

L'armée kenyane ne peut pas se déployer au Congo parce que l'armée kenyane ne peut pas aller combattre l'armée rwandaise ou l'armée ougandaise. Ils sont à Eastern African Community (Communauté des Etats d'Afrique de l'Est). Depuis longtemps. Ils se connaissent, ils ne vont pas se combattre. Donc ce que nous voulons c’est une mission robuste des Nations unies pour combattre, ou bien des pays amis que nous choisissons, nous. Le Congo n'est pas dans l'Afrique de l'Est. Le Congo est en Afrique centrale. Le Congo est dans l'Union africaine. Regardez quand vous lisez les communiqués que les chefs d'Etat ont lancé au mois de mai, ce qui les intéresse, c'est simplement l'est. C'est 40 millions de Congolais qui habitent là-bas, un vaste marché de ressources naturelles énormes.

Alors l'armée congolaise dans tout ça ? Qu'est-ce qu'elle fait ? Pourquoi elle a du mal à vaincre tous ces groupes armés qui pullulent dans la région ?

Parce que l'armée est infiltrée, parce que l'armée a été affaiblie. M. Kabila a fait exprès parce que lui, il avait une mission. Il continue avec cette mission pour déstabiliser le Congo et dépecer le Congo. Félix Tshisekedi, il a usurpé le pouvoir. Quatre ans après, il n'a pas daigné former une armée forte, une armée entraînée, équipée et une armée qui pouvait se battre. Nous voulons le pouvoir pour avoir une armée qui va défendre l'intégrité du pays.

Le président Félix Tshisekedi a lancé récemment un appel à la mobilisation populaire, à la mobilisation générale des jeunes congolais. C'est une initiative que vous saluez ?

J'ai lancé l'appel avant. J’ai lancé l'appel pour que tous les Congolais et ainsi que tous les politiciens parlent le même langage sur cette agression du Congo par le Rwanda et l'Ouganda. Donc aujourd'hui, nous Congolais, devons savoir que nous sommes attaqués par ces deux pays et surtout par le Rwanda. Chacun constate que Félix Tshisekedi est très faible et ils veulent en tirer avantage. Lui, il a été mis en place par M. Kagame et M. Kabila. Ils ont manigancé, ils ont signé le deal et aujourd'hui, Félix Tshisekedi ne peut pas faire ce qu'il a décidé. Par exemple, il avait accepté de recevoir la police rwandaise à Goma et les Congolaises et les Congolais ont dit non.

Monsieur Martin Fayulu, vous êtes en ce moment en Allemagne. Qu'est-ce que vous attendez concrètement d'un pays comme l'Allemagne en particulier et l'Union européenne et la communauté internationale en général, pour régler cette crise sécuritaire dans l'est du Congo ?

Ce que j'attends de l'Allemagne, que l'Allemagne fasse ce qu'elle est en train de faire en Ukraine. Le Congo est attaqué et le gouvernement allemand doit condamner. Le gouvernement allemand comme l'Union européenne, doit aider l'armée congolaise comme on aide l'armée ukrainienne. Le gouvernement allemand, l'Union européenne, doivent faire en sorte que les élections prochaines au Congo soient des élections impartiales, transparentes et apaisées, et que si quelqu'un s'amuse à voler la victoire du peuple, le gouvernement allemand doit le dire. Et le gouvernement allemand doit aussi tout faire pour que la communauté internationale respecte le peuple congolais. Les relations sont des relations entre les peuples. Ce ne sont pas des relations entre des individus. Il y a un peuple qui souffre dans son âme, dans son amour propre. Et ce peuple, c'est le peuple congolais. Nous disons au gouvernement allemand que trop c'est trop et il est temps d'agir.

Martin Fayulu en visite à la DW le 9 novembre 2022
Martin Fayulu demande plus de solidarité envers la RDC qui fait face aux violences des groupes armésImage : Dirke Köpp/DW

Vous continuez de dire qu’à l'élection de 2018, votre victoire vous a été volée. La prochaine présidentielle, c'est en décembre 2023 si tout se passe normalement. Vous êtes candidat. Est-ce que pour vous, les conditions d'un scrutin transparent, un scrutin crédible, sont réunies en ce moment ou sont en passe de l'être ?

Est-ce qu'ici, en Allemagne, on parlera des conditions qui sont réunies ? Est-ce que, aux Etats-Unis où on a eu des élections, on a parlé des conditions ? La constitution est claire, il y a élection tous les cinq ans. Ça c'est la Constitution. Ceux qui doivent organiser les élections, doivent appliquer la Constitution scrupuleusement. Donc pour moi, maintenant, c'est autre chose de dire que ceux qui sont là, ceux qui ont été placés à la Commission électorale nationale indépendante, ne font pas bien leur travail. Ils ne sont peut-être pas à jour, ils ne pourront pas organiser les élections en décembre 2023. Cette constitution est claire. Elle dit que le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Ce n'est pas cinq ans plus une seconde. Et il y a d'autres articles qui viennent, notamment 75, qui précise qu'en cas d'empêchement, comment les pouvoirs de l'Etat seront organisés. Et c'est pour cela que nous disons, Monsieur Felix Tshisekedi, ce qui est dit, doit quitter le fauteuil qu'il a usurpé, le 23 janvier 2024 à 00 h au plus tard et je travaillerai avec le peuple congolais pour que ce soit ainsi. Et là maintenant, nous allons avec tous les partis politiques, toutes les parties prenantes, regarder comment faire, comment utiliser l'article 75 pour organiser les élections en toute confiance.

Mais rien n'indique pour l'instant que la présidentielle ne va pas se tenir en décembre 2023 ?

Je suis d'accord avec vous, c'est ça que je veux. Moi et mon parti, nous nous organisons. Le parti a déjà tenu son congrès à Kisangani, la partie orientale de notre pays, du 11 au 14 juillet dernier et c'est là où j'ai été plébiscité candidat. Nous avons publié, adopté un manifeste sur le thème Congo et que le Moko Congo un et indivisible avec 18 défis que nous allons présenter à notre peuple.

Et vous faites aujourd'hui confiance à la Commission électorale indépendante ?

Non, je ne lui fais pas confiance. C'est pour cela, nous disons qu'il y a beaucoup de choses à changer. Nous demandons aux gouvernements épris de paix et de justice, de faire pression, de nous aider, y compris l'Union africaine et les Nations Unies, à avoir des discussions entre les parties prenantes. Pour discuter de la Commission électorale, la composition de la Commission électorale, de discuter de la loi électorale. La loi électorale n'est pas une loi adaptée à tout le monde. C'est une loi inique prise en faveur de Monsieur Tshisekedi. Il y a des articles, peut être cinq, peut-être trois, à revoir. De discuter de la composition de la Cour constitutionnelle parce que la Cour constitutionnelle, c'est elle qui donne le résultat définitif, elle qui proclame les résultats définitifs. Aujourd'hui, il n’y a que les gens de M. Félix Tshisekedi qui sont dans cette Cour. Il faut parler du calendrier électoral. Il faut qu'on décide. On fait les élections quand et quelles sont les étapes, qu'est-ce qu'il y a, à faire ? Il faut qu'il y ait un consensus. Il faut parler avant même du calendrier électoral, de la cartographie. Quelle est la cartographie ? Où est ce qu'il y aura des bureaux de vote ? Il faut qu'on parle aussi de la sécurité électorale. Est ce qu'on va arrêter avec l'état de siège en Ituri et au Nord Kivu ? Est-ce que la Monusco, on va lui donner ce mandat robuste pour protéger les citoyens quand ils iront aux élections pour que les élections se passent en toute sécurité ?  C'est pour cela que nous demandons que toutes les parties prenantes se mettent autour d'une table pour discuter de ces six questions et peut être d'autres questions relatives aux élections y compris le financement de ces élections. J'entends qu'on a besoin d'un milliard de dollars.

Martin Fayulu sur la DW (audio)

Alors, pour ces élections, vous allez former de nouvelles alliances ? Et que devient Lamuka ?

Lamuka est là. Lamuka ira aux élections. Notre parti a pris trente résolutions lors de son congrès. Une des résolutions est très claire et dit que nous ferons alliance avec tout parti, toute personne, qui regarde dans la même direction que nous.

Vous êtes toujours en contact avec Jean-Pierre Bemba, avec Moïse Katumbi ?

Qu'est-ce que ça veut dire?  Pourquoi vous voulez savoir ?

Mais vous étiez alliés ?

Oui, nous étions alliés et ils sont partis. Je peux dire peut être momentanément, parce que vous posez la question. Ils sont partis. Je crois qu'ils sont dans l'Union sacrée. J'apprends que Moïse Katumbi a beaucoup de difficultés au sein de l'Union sacrée. Jean-Pierre Bemba s'y plaît. Et je vous dis que nous ferons alliance avec toute personne qui regarde dans la même direction que nous. Si Moïse Katumbi demain, il vient, il dit, les quatre axes fondamentaux, j'y suis toujours, c'est à dire défendre la Constitution, combattre les anti valeurs, militer pour la bonne gouvernance au Congo, bannir la corruption, il dit que je suis dans ce sens-là, pourquoi pas, nous travaillerons ensemble.

Quel regard jetez-vous aujourd'hui sur les conditions de vie des Congolais ?

Les Congolais vivent misérablement. Le Congolais n'a pas à manger, le Congolais n'a pas d'eau, n'a pas d'électricité, n'a pas de soins de santé. Le Congolais n'a pas d'infrastructures. Le Congolais se déplace difficilement pour aller à Mbandaka. Si vous prenez l'avion, normal, c'est 50 minutes. Vous pouvez parfois attendre trois semaines où vous n'avez pas de vol. C'est très difficile de relier le Congo. C'est très difficile pour le paysan d'évacuer ses marchandises. C'est très difficile pour les parents de soutenir l'éducation des enfants. Donc au Congo, rien ne va parce qu'il y a des incompétents qui veulent à tout prix diriger le pays. Et pour eux, la seule chose, c'est le peu d'argent que le pays engrange.

Vous avez dénoncé récemment le salaire des députés, près de 21 000 $. Qu'est-ce que vous comptez faire? Vous demandez à ce que ce salaire soit réduit ?

Mais bien sûr. Il faut qu’ au Congo, on puisse donner les barèmes. Combien touchent chaque mois le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, l'huissier, etc.? Ça ne doit pas être, même si c'est connu, des montants farfelus. Un député congolais ne peut en aucun cas, gagner chaque mois 21 000 $. Ce n'est pas possible parce qu'il ne produit pas un travail qui justifie cet argent. Le pays n'a pas les moyens de payer à chaque député cet argent.

 

Georges Ibrahim Tounkara Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle