Les relations alambiquées de la RDC avec ses voisins à l'est
16 février 2024Les combats se poursuivent aux abords de Goma, dans le Nord-Kivu. Dans cette région de l'est de la République démocratique du Congo, l’armée congolaise affronte, entre autres mouvements armés, les combattants du M23. Ces violences provoquent des mouvements de population de grande ampleur. La localité de Sake, par exemple, se vide de ses habitants, et des camps de réfugiés sont pris pour cibles par des tirs.
Mais une fois de plus, les implications de ces violences dans l’est de la RDC dépassent les frontières congolaises.
Feue la CEPGL
Le principal allié à l’est de la République démocratique du Congo, c’est le Burundi. Les deux présidents, Félix Tshisekedi et Evariste Ndayishimiye, ont multiplié les visites réciproques. Ils entretiennent des relations personnelles qui ont permis des accords bilatéraux au-delà du cadre formel défini par la Communauté économique des pays des Grands Lacs, ou CEPGL.
Créée en 1976, cette organisation a pour objectif de garantir la sécurité de ses Etats-membres et de promouvoir les échanges économiques, culturels et touristiques entre eux.
Mais depuis plusieurs années, cette structure est au point mort en raison d’un déficit de paiement des cotisations des Etats-membres et des tensions du Burundi et de la RDC avec le Rwanda.
Bob Kabamba, politologue et professeur à l'Université de Liège, en Belgique, estime que "la seule chose qui reste entre ces trois pays en termes de dynamique positive, c'est le fait qu'on a permis aux membres de ces Etats de circuler librement grâce à une "autorisation spéciale de circulation"."
Hormis cela, selon le chercheur, "tous les investissements et les entreprises qui avaient été créés par le cadre communautaire sont pratiquement à l'arrêt."
L'alliance de la RDC avec le Burundi
Entre le Burundi et la RDC il existe aussi des relations commerciales privées, c’est-à-dire un fort commerce frontalier qui est une source de revenus pour de nombreuses familles des deux côtés de la frontière.
Le Burundi et la RDC ont en effet signé des accords particuliers de défense qui ont permis le déploiement de troupes burundaises dans le Sud- et le Nord-Kivu.
Mais, note Bob Kabamba, c’est le Trésor public congolais qui finance ces troupes. Or les FARDC doivent aussi participer au financement de la mission de stabilisation sous-régionale de la EAC (Communauté d'Afrique de l'Est) et à celui des miliciens Wazalendo qui leur prêtent main forte dans les combats contre les groupes armés.
Ce rapprochement avec la RDC a permis au Burundi de sortir un peu de son isolement diplomatique, mais aussi au contre-coup des sanctions internationales qui pèsent sur lui. Et enfin, la RDC est désormais un allié francophone de poids pour le Burundi, dans une EAC dominée par les Etats à majorité anglophone.
Le Rwanda comme "ennemi" commun
Par ailleurs, l’alliance du Burundi avec la RDC est motivée par un "ennemi" commun : le Rwanda.
Christian Moleka, coordinateur de la dynamique des politologues de RDC, souligne le gain des autorités burundaises dans leur rapprochement avec celles de Kinshasa :
"En soutenant la RDC, le Burundi se soutient lui-même car il participe à neutraliser les rebelles du Red-Tabara et à couper l'influence que le Rwanda, via les milices pro-Tutsis, peut exercer sur le mouvement Red-Tabara qui visent à destabiliser le Burundi."
Le Burundi réclame en vain au Rwanda le retour des réfugiés burundais qui ont fui les violences en 2015, notamment. Et celui des journalistes et des médias burundais installés au Rwanda.
Par ailleurs, les autorités burundaises accusent Paul Kagame de soutenir des mouvements politico-militaires burundais présents en RDC, qui seraient auteurs d’attaques en territoire burundais, comme les Red-Tabara évoqués plus haut.
La complexité RDC-Ouganda
Les relations entre la RDC et l’Ouganda sont aussi très complexes. D’une part, les deux pays ont conclu des accords particuliers.
Les troupes ougandaises ont obtenu la permission, en 2021, de se déployer en territoire congolais pour chasser les rebelles ougandais des ADF. Les troupes bilatérales sont restées même après le retrait des troupes de l’EAC.
Une coopération militaire qualifiée de succès par Kristof Titeca, professeur en développement international à l’Université d’Anvers, en Belgique :
"Depuis la fin de l’année 2021, les militaires ougandais opèrent dans l’est de la RDC pour combattre les ADF, un groupe rebelle ougandais qui est actif à la fois dans l’est de la RDC et qui mène des attaques en Ouganda. Bien que ce groupe ait reçu moins d’attention que le M23, il est au moins aussi meurtrier. Pendant longtemps, cette opération, l’opération Shujaa, n’a pas semblé faire grand-chose, mais ces six derniers mois, l’opération a été particulièrement efficace."
Kinshasa espérait ainsi se rapprocher de l’Ouganda aux dépens du Rwanda.
Yoweri Museveni, lui, pourrait compter sur ce déploiement pour obtenir des compensations aux dédommagements que la Cour internationale de justice a condamné l’Ouganda à verser aux victimes congolaises des atrocités commises lors de la guerre de 1998-2003.
Mais depuis la création, en 2023, d’un nouveau mouvement armé en RDC, l’Alliance Fleuve Congo par le Congolais Corneille Nangaa, les cartes sont rebattues.
Appel de la société civile de Rutshuru
L’AFC est en effet alliée au M23, dont même les Nations unies affirment qu’il est soutenu par le Rwanda.
Le dernier rapport des experts de l’Onu affirme aussi avoir la preuve de la présence d’éléments de l’armée rwandaise sur le sol congolais : dans les territoires de Masisi, de Rutshuru et de Nyiragongo.
L’AFC, pour sa part, contrôle le poste-frontière de Bunagana, en territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), à la frontière avec l’Ouganda. La société civile locale affirme déternir des preuves matérielle du soutien de Kampala à l’AFC - et donc, indirectement, au M23.
Jean-Claude Bambaze, le président de la société civile de Rutshuru, réclame aux autorités congolaises de suspendre les relations avec l’Ouganda. C’est ce qu’explique, au micro de Jean-Noël Ba-Mweze :
"On continue à voir des mouvements importants des troupes ougandaises qui viennent appuyer les M23. Ils viennent avec des auto-blindés, des canons, ils viennent avec des équipements sophistiqués. Cela fait douter de la sincérité de cette relation qui existe entre la RDC et l'Ouganda. Et donc, face à ce jeu d'hypocrisie, face à cet appui réel de l'Ouganda au M23, je crois qu'il faut vraiment rompre la relation aussi avec l'Ouganda. Il faut non seulement rompre mais aussi condamner. Dénoncer publiquement ce que fait l'Ouganda parce qu'on a tendance à penser que c'est le Rwanda seulement, alors que non. C'est vraiment l'Ouganda qui appuie aussi, surtout avec l'artillerie et toutes les armes sophistiquées et c'est surtout l'Ouganda aussi qui est dans la partie nord-ouest de Rutshuru sur le front du côté de Kitshanga du côté de Mwesi. Ils sont sur le front du côté de Bambo, ils sont sur le front de Katsiru."
Kristof Titeca, de l’Université d’Anvers, estime quant à lui que l’Ouganda joue "tout au plus un rôle passif" envers le M23 :"il n’entraîne pas activement le M23, il ne contribue pas à ses activités."
Bob Kabamba confirme pour sa part qu'il est plus aisé pour Kinshasa d'accuser Kigali, en profitant d'une opinion publique congolaise plus hostile au président rwandais qu'à l'Ouganda : "Plusieurs fois, le ministre des Affaires étrangères de RDC a stigmatisé l’appui de l’Ouganda vis-à-vis de ces différents groupes armés. Mais dans le discours officiel, on ne cite jamais l’Ouganda, on ne cite que le Rwanda."
L'Alliance fleuve Congo
Par ailleurs, le chercheur note que la conférence de presse de Corneille Nangaa pour annoncer la création de l’Alliance Fleuve Congo, a été organisée depuis le Kenya. Ce qui montre selon lui l’implication de nombreux pays de la sous-région dans le conflit qui émaille l’est de la RDC.
L’Ouganda, comme le Kenya, est intéressé par les débouchés commerciales que propose la grande RDC.
"Deux choses sont essentielles à cet égard : les ressources naturelles et le commerce, explique Kristof Titeca. Le Rwanda et l’Ouganda sont deux grands exportateurs d’or mais ils ne possèdent que très peu de gisements. Une grande partie de cet or provient du Congo. Et puis il y a le commerce.
L’Ouganda et le Kenya sont constamment à la recherche de nouveaux marchés. Et la RDC représente un marché énorme. C’est une des raisons pour lesquelles l’Ouganda cofinance à hauteur de 20 millions de dollars des routes dans l’est de la RDC, ce qui permet d’exporter des produits ougandais. Le fait que la RDC soit devenue membre de la Communauté de l’Afrique de l’est jour un rôle important et semble avant tout profiter à l’Ouganda et au Kenya qui ont beaucoup plus d’industries [que les autres Etats-membres]."
Christian Moleka partage ce point de vue et parle de" puzzle sécuritaire" sur fond d’intérêts économiques pour les ressources naturelles congolaises :
"Il y a des projets régionaux de chemin de fer avec derrière une concurrence des ports de Dar-es-Salam (en Tanzanie) et de Mombasa (au Kenya). Deux projets de chemins de fer sont en concurrence qui finissent sur le marché congolais, soit en passant par le Kenya et l’Ouganda, soit en passant par la Tanzanie et le Rwanda. C’est donc également une guerre d’influence des ports et destinée à tourner le marché congolais vers les pays voisins. La guerre du M23 a d’ailleurs repris quand le projet de route qui prévoyait de relier Kasindi à l’Ouganda a également commencé."
Selon Christian Moleka, pour éviter une internationalisation de la guerre en territoire congolais, il faudra donc que les Etats de la région s’accordent pour établir une stabilité basée sur des échanges pacifiés qui prennent en compte les intérêts des populations. Mais aussi que s’opèrent des pressions politiques des grandes puissances ; queles Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou même la Chine par exemple, qui profitent des ressources congolaises, cessent de fermer les yeux sur la gravité de la situation dans la région des Grands Lacs.