"Ceci est la clé d'une nouvelle coopération. Je pense que cette clé n'est pas seulement celle de Benin-City, mais aussi de Cologne..."
Ambiance détendue pour la séance photo à l'issue de la conférence de presse au musée ethnographique de Cologne. La maire de Cologne vient de remettre une grande clé de bronze à la délégation nigériane.
C'est l'un des trois objets que s'apprêtent à remporter au Nigeria Abba Isa Tijani, directeur général de la "National Commission for Museums and Monuments" du Nigeria, et Yusuf Maitama Tuggar, l'ambassadeur du Nigeria en Allemagne.
Ils sont chargés de rapatrier les premiers trésors royaux restitués par l'Allemagne à leur pays, des trésors dérobés par les forces coloniales britanniques lors du pillage, en 1897, de Benin-City, situé dans le sud-ouest de l'actuel Nigeria.
Une clé, un trône et un buste symboles d'autorité
En plus de la clé, un trône et un buste font partie des objets que rend le musée Rautenstrauch-Joest, des objets de grande valeur car ils se rapportent tous à l'Oba, le titre donné aux rois du Bénin, comme l'explique le professeur Tijani:
"Ils représentent différentes facettes du royaume du Bénin, à l'époque où il existait, avant l'invasion et le pillage. L'un d'entre eux est la clé. C'est un symbole d'autorité dans le royaume du Bénin car elle ouvre la chambre forte où sont conservés les objets de valeur. Le deuxième est le tabouret de l'autorité : tout Oba qui est couronné doit s'asseoir sur le tabouret, sinon le couronnement n'a pas lieu. L'autre, qui est une tête d'Oba, est aussi un symbole d'autorité. Chaque nouvel Oba a un buste représentatif pour montrer l'autorité de sa fonction. C'est pourquoi nous avons estimé que ces trois objets sont symboliques et que c'est à eux de rentrer en premier afin d'accueillir les autres objets."
Sur les 1130 objets restitués par l'Allemagne au Nigeria, 92 proviennent du Rautenstrauch-Joest de Cologne. En 2023, 52 d'entre eux retrouveront leur terre d'origine. Les autres resteront à Cologne, dans le cadre de prêts entre musées, précise Aba Isa Tijani:
"Pour ces 92 objets, la propriété a été transférée au Nigeria. Et nous avons accepté d'en prêter certains pour qu'ils restent ici à Cologne, de manière à éviter de créer un vide. Ils restent donc ici en tant qu'ambassadeurs du Nigeria. Le reste des objets retournera au Nigeria, par étapes."
Nouvelle étape dans la restitution des biens culturels
Henriette Reker, la maire de Cologne, se réjouit que 37 trésors du Bénin puissent encore rester à Cologne, mais elle souligne l'importance symbolique de leur restitution.
"C'est sans aucun doute un moment particulier, c'est un jalon dans un débat qui dure depuis des décennies sur la restitution de l'art spolié. C'est aussi une étape importante pour Cologne et elle a également une signification nationale et internationale."
Une signification internationale, car les bronzes du Bénin sont dispersés un peu partout dans le monde occidental. A la fin du 19ème siècle, plus de 5000 objets volés par les forces coloniales avaient été vendus aux enchères à Londres dans toute l'Europe. Les musées ethnographiques d'Allemagne ont ainsi acquis la deuxième plus grande collection au monde.
Entre l'époque coloniale, l'indépendance des anciennes colonies et la restitution des biens, la route a été longue. La décolonisation a mis du temps à atteindre l'espace muséal. C'est le rapport de Felwine Sarr et de Bénédicte Savoy, en 2018, qui a changé la donne et entraîné la restitution de biens patrimoniaux par la France, la Belgique et l'Allemagne à leurs anciennes colonies.
Une évolution que salue Nanette Snoep. La conservatrice du musée Raustenstrauch-Joest de Cologne s'engage depuis plus de vingt ans pour la restitution des biens spoliés.
"Je pense que c'est la bonne voie, que la propriété de ces biens culturels, qui ont été acquis dans un contexte de violence coloniale et d'injustice, soit vraiment transférée dans son intégralité. Et alors on pourra vraiment dire que les musées se décolonisent. Nous ne sommes vraiment qu'au début, au début de cette nouvelle histoire."
Décoloniser les négociations
Nanette Snoep estime que l'Allemagne est passée en quelques années de frein à accélérateur en matière de restitution. Avec un effet contagieux puisque des musées d'Amérique du Nord ont également commencé à rendre des biens patrimoniaux. La conservatrice du musée de Cologne met toutefois en garde contre la manière dont sont menées les négociations de restitution.
"Décoloniser n'est pas si simple, cela fait mal. Cela signifie aussi abandonner des privilèges. Nous devons faire attention à ce que ces négociations de restitution soient aussi décolonisées. Et ce n'est pas encore complètement le cas, je dirais."
En plus de Cologne, la délégation nigériane s'est rendue à Hambourg, Stuttgart, Berlin et Dresde pour récupérer d'autres bronzes du Bénin.
Les 20 objets ont été acheminés cette semaine au Nigeria, accompagnés d'une délégation de haut niveau avec Annalena Baerbock, la chef de la diplomatie allemande, et Claudia Roth, ministre de la Culture.
Il fallait au moins cela pour montrer la valeur symbolique de cette première restitution et le début d'une nouvelle ère dans les relations entre l'Allemagne et le Nigeria.
Les objets rapatriés resteront dans un premier temps à Abuja, la capitale nigériane, mais le Nigeria veut bâtir un nouveau musée, avec le soutien financier de l'Allemagne, pour accueillir l'ensemble des biens patrimoniaux restitués.
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Le rêve américain de Frozan, Maryam et Walwala
Cela fait un an qu’elles attendent de recevoir leur statut de réfugiées de l’ambassade américaine. Walwala, Maryam et Frozan, trois Afghanes, sont logées dans un hôtel 5 étoiles à Shengjin, une station balnéaire en Albanie.
Elles sont arrivées il y a un an dans le cadre d’un accord entre le Canada, les Etats-Unis et l’Albanie. Cet accord trilatéral permet aux Afghans d’attendre la décision des Etats-Unis et du Canada dans un pays sûr plutôt qu’en Afghanistan.
Elles essaient de construire une vie malgré l'incertitude. Walwala et Maryam avaient ouvert un restaurant afghan éphémère, mais sans perspective d’avenir, elles ont récemment dû le fermer. Frozan, quant à elle, continue de partager sa culture avec sa communauté en ligne. Niklas Mönsch les a rencontrées.
Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast. Ont contribué à ce numéro: Julia Hitz (reportage au musée ethnographique de Cologne) et Niklas Mönsch (reportage en Albanie). Vous retrouvez tous les numéros dans la médiathèque, à écouter en ligne ou à télécharger en format MP3. Le podcast est également disponible sur certaines plateformes de podcasts.