Interview de Dmitri Sytyi, figure de la Russie en RCA
11 octobre 2024C'est fin 2017 que les premiers instructeurs militaires russes ont fait leur entrée en Centrafrique. Ils sont alors chargés, avec l'aval des Nations unies, de fournir l'armée centrafricaine en armement et de former, donc, les soldats. Pour la Russie, la RCA a été la porte d'entrée sur le continent pour y mener une nouvelle politique.
L'une des figures de cette présence russe en République centrafricaine se nomme Dmitri Sytyi. Officiellement, il dirige la Maison russe, qui est le centre culturel russe à Bangui, mais son influence est telle que certains prétendent qu'il est en fait le nouveau chef de l'ex-groupe Wagner. Dmitri Sytyi a accordé une interview en anglais à la Deutsche Welle. En voici les grandes lignes.
Un air débonnaire, un discours bien rôdé
C'est vêtu d'un t-shirt à manches longues et d'un pantalon de survêtement que Dmitri Sytyi salue l'intervieweur de la Deutsche Welle, Zigoto Tchaya.
La main droite du trentenaire, victime d'un attentat au colis piégé, fin 2022, est affublée d'une prothèse.
La vidéo de l'entretien fait près de 40 minutes, pendant lesquelles Dmitri Sytyi déroule sous des airs souvent débonnaires un discours bien rôdé.
A maintes reprises, il répète que l'Afrique est un continent d'avenir. Et que la Russie y est présente pour aider les Etats qui choisissent - librement – de coopérer avec elle.
"Notre politique, c'est d'aider ce pays, assène-t-il. Pas d'imposer nos intérêts ou quoi que ce soit d'autre. Tout tourne autour de cette politique d'aide."
Une Russie qui serait donc là sans intérêts propres, simplement pour permettre aux pays africains de se développer.
Cette affirmation passe un peu vite sous silence les concessions minières sur lesquelles la Russie a fait main basse, dans des mines d'or et de diamant, en échange de ses services à l'Etat centrafricain, notamment.
Dmitri Sytyi figure d'ailleurs parmi les actionnaires de l'entreprise Lobaye Invest qui fait de la prospection minière et participe au financement de Wagner.
Passeur culturel et médiateur de paix ?
A l'entendre, Dmitri Sytyi est d'abord un "ambassadeur culturel de la Russie". Il est vrai qu'il a commencé comme traducteur et qu'il dirige officiellement la Maison russe de Bangui.
Il reconnaît toutefois remplir de temps à autres d'autres « missions de désarmement », notamment pour le compte du président Touadéra, auprès des groupes armés centrafricains qu'il connaît depuis les négociations préalables à l'accord de paix de Khartoum auxquelles il a assisté.
"Je suis chargé de rapprocher culturellement la Russie et la République centrafricaine grâce au centre, explique Dmitri Sytyi à la DW. Et je poursuis mon travail pour ce pays, j'effectue des missions pour le président Touadéra, en tant que médiateur avec des groupes armés parce que j'ai acquis de l'expérience avant l'accord de paix de Khartoum. J'utilise cette expérience aujourd'hui encore. Je me suis rendu récemment au Congo, pour convaincre les antibalakas de désarmer. Cela a été, je crois, couronné de succès."
La propagande antirusse de l'Occident comme paravent
A chaque fois que notre confrère tente de le confronter aux accusations de graves violations des droits humains formulées par des journalistes, des ONG ou même les Nations unies à l'encontre des mercenaires du groupe ex-Wagner, Dmitri botte en touche : il ne s'agit, selon lui, que de propagande occidentale.
Il se présente lui-même comme un bouc-émissaire, et l'attentat dont il a été victime fin 2022 vient, d'après lui, corroborer ses propos :
"Les journalistes qui prétendent dans leurs articles que je suis derrière tout ça, le cerveau sombre d'une propagande antioccidentale, abondent dans le sens de cet acte terroriste. Ils participent à une propagande eux-mêmes. Ils ne savent rien et tirent des conclusions, avant de dépeindre la situation comme ils le veulent. Ils donnent une image mauvaise de la Russie. Cela ne correspond pas à la réalité. La Russie aide, ce qui froisse beaucoup de gens. Les gouvernements occidentaux pensent que la Russie ne doit même pas tenter de sceller des partenariats avec des pays africains. Cela les frustre, c'est pourquoi ils la font passer pour mauvaise. La propagande vient en réalité de l'Occident, pour contrer les activités de la Russie en Afrique."
Evgueni Prigogine, son mentor
Quand on évoque son ancien mentor Evgueni Prigogine, l'ancien patron de Wagner, Dmitri Sytyi affirme qu'il manque à beaucoup de gens, mais il ajoute : "Nous continuons ce qu'il avait commencé".
Et quand on lui demande ce qu'il pense de la théorie selon laquelle Vladimir Poutine aurait ordonné de faire exploser l'avion qui transportait Evgueni Prigogine, il coupe court en répondant qu'il n'a pas d'information à ce sujet.
Une influence de premier ordre
Mais en réalité, Dmitri Sytyi serait bien plus influent que ce qu'il laisse entendre. Des enquêtes du Financial Times et du quotidien Le Monde, notamment, ont montré le côté sombre de ses activités.
Déjà, l'année dernière, l'ancien député centrafricain Jean-Pierre Mara, déclarait à son propos, dans notre podcast QuiQuoiComment dédié au groupe Wagner en Centrafrique :
"En fait, il est [actif] dans le dispositif sécuritaire, il est le patron du renseignement militaire russe et le patron de tous ceux qui font la rotation pour former les supplétifs de Berengo. Donc, officiellement, ce sont des instructeurs russes, mais en fait, ce sont les membres de Wagner qui sont propriétaires de sociétés… Donc c'est bien huilé, c'est bien caché, c'est très difficile [à percer] … c'est opaque quoi."
Pour finir, Dmitri Sytyi affirme au micro de la DW qu'il ne se sent pas les épaules pour succéder un jour à Vladimir Poutine. "J'essaie, assure-t-il, de limiter mes ambitions".