Après eux le déluge
17 septembre 2022Un vieux dicton affirme que "l'argent c'est comme les maladies, on en a ou on n'en a pas... mais dans les deux cas on n'en parle pas". L'origine de cette sagesse populaire est mal définie mais elle ne provient pas du continent africain.
Pourtant ce dicton pourrait bien s'appliquer aux pays d'Afrique francophone et en particulier à la République démocratique du Congo (RDC).
En effet, les déclarations de l'opposant Martin Fayulu, lui-même ancien député, sur le salaire des représentants qui atteindrait un peu plus de 21.000 euros par mois ont certes été démenties par l'Assemblée nationale, mais le bureau de celle-ci a refusé de préciser quel est le véritable montant..
La raison invoquée ? On ne parle pas d'argent, ça ne se fait pas, a laissé entendre un officiel congolais, ajoutant que les salaires sont "individuels”.
Il a raison : les députés membres de la "grande coalition" au pouvoir touchent 5.000 dollars de plus par mois que les autres. C'est pourquoi Martin Fayulu parle de "corruption parlementaire”.
On ne parle pas d'argent, surtout quand on en a beaucoup
Bien sûr, cette pudeur sur l'argent serait louable si elle ne prenait pas place dans un pays où le revenu national brut par habitant est, selon la Banque mondiale, de 47 euros par mois. Soit près de 400 fois moins que le salaire mensuel d'un député.
Il faut préciser ici que les salaires reportés dans l'infographie ci-dessous ne prennent en compte que les émoluments mensuels ainsi que les primes de présence ou de vacances parlementaires.
C'est pourquoi notre propre calcul concernant les salaires des députés congolais atteint la somme de 17.500 euros, soit un peu moins que 21.000. Mais cela constitue toujours un record mondial.
Nous avons écarté toutes les autres indemnités – et elles sont nombreuses – qui ont trait à la prise en charge des frais de fonctionnement (bureau, transports, logement, assurances et crédits).
Certains pourraient rétorquer que le contrôle de ces dépenses de fonctionnement par les députés est quasiment inexistant et que personne ne sait si l'argent a été dépensé à bon escient mais, pour être honnête, cette opacité existe aussi en Europe.
Donc restons sur le salaire à proprement parler et le secret qui l'entoure.
Prime de bon vendredi
Car ce silence sur le salaire des députés n'est bien entendu pas une particularité de la RDC et c'est pourquoi la DW a eu recours à son réseau de correspondants pour compiler ces informations.
Ainsi y a-t-il des petites perles à relever, comme le Bénin, où le salaire des députés a été aligné sur celui des préfets, ce qui fait une jolie somme de 7.600 euros par mois. C'est par exemple deux fois plus qu'au Gabon et quatre fois plus qu'au Cameroun.
Dans le maquis des primes et indemnités dont bénéficient aussi les députés, il est souvent difficile de s'y retrouver. Comme au Niger par exemple, où le salaire mensuel est de 2.500 euros mais s'y ajoutent une indemnité de transport, de logement, pour les frais de secrétariat, pour l'eau, le téléphone...
Ceci alors que, par comparaison, le salaire d'un instituteur au Niger est d'environ 130 euros par mois avec une indemnité de craie d'à peine... huit euros.
Enfin, on ne résiste pas à mentionner l'existence en République centrafricaine d'une prime de "bon vendredi", dont le montant nous est hélas inconnu mais qui ferait sans doute le bonheur de tous les salariés amateurs de TGIF - Thanks God it's friday (Grâce à Dieu c'est vendredi).
Les putschs n'empêchent pas les salaires de ministres
Au Burkina Faso, il apparait aussi que les militaires au pouvoir ont trouvé un deal "gagnant-gagnant” avec les députés : vous acceptez d'augmenter les salaires du gouvernement et vous aurez droit à une hausse similaire.
C'est le quotidien burkinabè l'Evénement du 25 juillet dernier qui donne les détails de l'histoire.
Le chef des putschistes, le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, et le président de l'Assemblée législative de transition, Aboubacar Toguyeni, ont trouvé accommodant de coupler les augmentations de salaires des membres du gouvernement et celle des députés.
Ainsi, les ministres ont vu leur salaire mensuel passer de 1.490 à 3.640 euros (+144%), le Premier ministre Albert Ouédraogo a vu sa fiche de paye grimper de 1.664 à 4.249 euros (+155%) et les députés se sont vus, en échange, accorder une enveloppe de deux millions de francs CFA par trimestre, soit un peu plus de 1.000 euros par mois.
Comme quoi les coups d'Etat militaires ne sont pas toujours mauvais pour les affaires.
Les députés nigérians sur des standards européens
Enfin, il y a la catégorie de ceux pour qui l'argent semble moins tabou : ce sont plutôt les pays anglophones.
Ainsi peut-on trouver sans trop d'efforts sur internet qu'un député en Afrique du Sud touche un salaire mensuel de 5.700 euros, son homologue kényan bénéficie de près de 300 euros de plus, tandis qu'un député nigérian se hisse à la deuxième place sur le continent, derrière la RDC, avec près de 9.400 euros par mois.
Ce qui correspond, plus ou moins, au salaire d'un député allemand ou d'un eurodéputé à Bruxelles.
En termes de transparence toujours, il faut accorder une mention spéciale au Kenya qui dévoile aussi sur internet le salaire du président de la République qui est de... 12.000 euros par mois.
Dépenser l'argent public en toute impunité
Le principal souci, bien entendu, est que les députés, comme les chefs d'Etat et les ministres, sont payés avec de l'argent public. Or, on peut s'interroger sur l'utilisation de cet argent quand on note l'écart entre le montant mensuel de ces rémunérations et la richesse produite chaque mois par habitant dans les pays africains.
L'infographie précédente montre qu'il n'y a pas que les députés congolais qui vivent en dehors des réalités.
Des pays plutôt prospères comme le Bénin et le Nigeria, mais aussi parmi les plus pauvres du monde comme le Niger, le Tchad, la République centrafricaine et le Mali, ont des députés qui touchent des salaires qui sont 40 à 50 fois supérieurs à la richesse par tête créée chaque mois dans ces Etats.
Seul le Gabon présente un écart à peu près acceptable.
Cela s'appelle vivre au-dessus de ses moyens. On pourrait parler aussi d'un manque évident d'empathie pour le sort du reste de la population mais nous n'avons pas voulu ajouter à cette enquête, à titre de comparaison, le taux de pauvreté de ces pays pour ne pas trop noircir le tableau.