Shaka Zulu : père de la nation zouloue
9 juillet 2021Beaucoup a été dit et écrit à propos de Shaka Zulu, à tel point qu'il est difficile de se lancer dans un récit sur la vie du fondateur du royaume zoulou. Mais lorsqu'il s'agit de distinguer les faits de la fiction, le docteur Maxwell Zakhele Shamase fait autorité. Avec Mthandeni Patrick Mbatha, historien de l'université du Zoulouland, il écrit actuellement un livre sur l'homme derrière la légende. "Très peu de choses ont été écrites sur le roi Shaka du point de vue africain", raconte Maxwell Shamase. "Certaines des choses écrites par des non-Africains sont même incorrectes sur le plan des faits, alors nous voulons raconter l'histoire d'un point de vue africain", détaille le spécialiste au début de son entretien avec la DW.
DW : Comment décririez-vous le roi Shaka ?
Avant la naissance de Shaka, une prophétesse du nom de Sithayi a prophétisé qu'"un enfant, qui apportera un nouvel ordre et une nouvelle nation, naîtra". Il était un génie militaire en Afrique. C'était un bâtisseur de nation et non un tueur assoiffé de sang. Ce n'était pas un assassin impitoyable.
DW : Quand et où Shaka est-il né ?
Il est né en juillet 1787 parmi le peuple eLangeni dont sa mère est originaire.
DW : D'où Shaka Zulu tire-t-il son nom ?
Son père était Senzangakhona. Sa mère était la princesse Nandi de la famille royale de Mhlongo qui vivait à un endroit appelé eLangeni. Le nom Shaka provient d'une maladie appelée "ishaka". Cette maladie provoque des douleurs, de la paresse et un gonflement du corps des femmes. Lorsque sa mère, qui n'était pas mariée à l'époque, est tombée enceinte, les gens ont cru qu'elle souffrait d'ishaka. C'est ainsi que Shaka a obtenu ce nom.
Il était donc Shaka kaSenzangakhona, Senzangakhona étant son père. À cette époque, le nom de votre père devenait votre nom de famille. Le grand-père de Shaka s'appelait Zulu. Quand il est devenu roi, Shaka a dit : "Ayons une identité et appelons-nous peuple zoulou". Il a été le premier à appeler son peuple "peuple zoulou", c'est pourquoi il est désigné comme le fondateur de la nation zouloue, bien qu'il ait hérité d'un trône déjà existant.
DW : Le père de Shaka, Senzangakhona, a-t-il accepté sa paternité ?
Il a essayé de le nier parce qu'il avait peur de son père. Pour un héritier apparent comme Senzangakhona, mettre une fille enceinte avant le mariage était une honte et pouvait lui valoir de sévères punitions, y compris la perte de son droit à monter sur le trône. Sa famille a plus tard été dissoute et Senzangakhona a payé la dot, ce qui a permis à Nandi de s'installer dans la famille de Senzangakhona.
DW : Nandi et Shaka ont ensuite été chassés de la maison de Senzangakhona. Comment en est-on arrivé là ?
Nandi était arrogant et avait un caractère tempétueux. Il dictait ses envies constamment et à tout le monde. Leur relation était donc difficile. Senzangakhona n'en pouvait plus. Il l'a jetée dehors avec Shaka. Ils ont tous les deux erré. Nandi a ensuite rencontré Ngwati. Ils sont tombés amoureux, sont restés ensemble et ont donné naissance à la sœur de Shaka.
DW : Alors que Ngwati était tuée, Nandi et ses deux enfants furent recueillis par le roi Mthethwa Dingiswayo. Comment Shaka a-t-il ensuite rejoint les régiments ou l'armée des Mthethwa ?
Il est devenu le principal chef d'équipe du roi Dingiswayo à l'âge de 16 ans. C'est grâce à son intelligence et à son courage. Il n'a pas fallu longtemps pour qu'il soit recruté comme guerrier dans le régiment Izicwe.
DW : Quel a été l'impact de Shaka Zulu dans l'armée Mthethwa ?
En tant que commandant, il a interdit les guerriers de porter des sandales et leur a ordonné de marcher pieds nus. Il a également empêché l'utilisation de longues lances que les guerriers utilisaient contre l'ennemi. Il a, à la place, introduit les lances courtes "Iklwa" pour le combat rapproché. Cela obligeait ses guerriers à s'approcher suffisamment pour poignarder l'ennemi et à passer au suivant en utilisant la même lance.
Il a également introduit la formation en corne de buffle que son armée utilisait pour piéger ses adversaires avant de leur tomber dessus. Cela ressemblait à la tête d'un buffle et à ses deux cornes. Il devint si redouté et si connu, même dans d'autres tribus et royaumes, qu'il reçut le nom de "Nodumehleli", ce qui signifie « celui qui, lorsqu'il est assis, fait gronder la terre »".
DW : C'est en tant que combattant de Mthethwa que Shaka est finalement monté sur le trône de Senzangakhona. Cet acte a-t-il été incontesté ?
À la mort de son père Senzangakhona, le roi Dingiswayo l'a aidé à retourner auprès du peuple de son géniteur, lui offrant même les services de deux guerriers pour l'aider à prendre le pouvoir. Mais Senzangakhona avait dit à son premier ministre Mudli, que son autre fils Sigujana serait l'héritier présomptif, et non Shaka. À son arrivée, Shaka a donc tué Sigujana. Il a finalement pris le pouvoir en 1816. Après la mort du roi Dingiswayo, Shaka intégra le peuple Mthethwa sous son royaume et les clans que Dingiswayo avait conquis sous sa direction militaire. Il a aussi continué à conquérir d'autres clans.
DW : Shaka avait une vision très négative du mariage, à tel point que certains disent qu'il aurait pu être homosexuel. Quelle en était la raison ?
Sa perception négative du mariage venait de la façon dont il a vu sa mère être traitée. Il a également été maltraité lui-même directement parce qu'il a grandi en dehors de son clan et sans son père. Il a eu des relations sexuelles avec des femmes, mais, quand elles sont tombées enceintes, il les a "données" à son frère, Mpande, considéré comme un faible.
DW : Shaka Zulu a-t-il vraiment tué les femmes qui étaient enceintes de lui, comme on le prétend ?
Cela ne peut pas être vrai. Nous avons connaissance d'un incident où les commerçants blancs ont réanimé une femme qui s'était effondrée à cause d'une forte fièvre. Shaka et ses hommes la croyaient morte. Ils ont parlé de sa réanimation comme une résurrection.
Suite à cela Shaka est devenue curieux. Il a voulu savoir si les commerçants étaient capables de ressusciter les morts. Il ordonna ainsi de tuer une femme et demanda aux commerçants de démontrer leur pouvoir de la ressusciter. Ce qui n'eut pas lieu, bien évidemment.
On raconte qu'il a une fois, par curiosité, déchiré le ventre d'une femme enceinte pour voir comment le bébé grandissait dans le ventre.
DW : On nous dit que Shaka a tué jusqu'à un million de personnes, certaines pour rien ou simplement parce qu'elles étaient trop petites. Est-ce vrai ?
C'est un point de vue occidental et ce n'est pas vrai. Souvenez-vous, 50 millions de personnes sont mortes pendant la seconde guerre mondiale, en plus des autres millions qui sont morts pendant la première guerre mondiale. Qui était le pire entre Shaka et ces Européens si on regarde ces deux guerres ? Il faut aussi prendre les meurtres dans le contexte de l'époque. C'est une chose à laquelle les gens étaient habitués. Il y a avait des "justifications" pour les meurtres. On tuait, par exemple, les personnes dont on prouvait qu'elles étaient des sorcières. Les rois de l'époque ont survécu en éliminant leurs rivaux.
DW : Comment Shaka Zulu est-il mort ?
Il a été tué en septembre 1828. Il y a eu à l'époque une conspiration menée contre lui par sa tante. La raison principale était qu'après la mort de sa mère Nandi, Shaka était devenu psychotique et a tué beaucoup de gens sans réfléchir, prenant pour prétexte la tristesse liée à la mort de sa mère. Certains ont été tués pour l'avoir intimidé pendant son enfance, d'autres pour n'avoir pas montré suffisamment de chagrin.
DW : Est-il problématique de surnommer Shaka "le Napoléon noir ou africain" ?
C'était un génie militaire africain, pas un Napoléon noir. Pourquoi ne pas dire que Napoléon était un Shaka blanc ? Il n'est jamais allé en Europe et aucun Européen ne lui a appris ce qu'il faisait en termes de guerre. C'est son propre génie qui lui a appris.
DW : Parler de Shaka Zulu est-il encore pertinent aujourd'hui ?
Il est le point de ralliement de l'unité zouloue. Le parti de la liberté Inkatha qui domine le Kwazulu Natal s'identifie au roi Shaka. Les rois et le peuple zoulous rendent hommage au trône du roi Shaka encore aujourd'hui.
Maxwell Zakhele Shamase, expert en histoire zouloue, est titulaire d'un doctorat en histoire politique contemporaine et histoire du peuple zoulou, histoire de la région du peuple du Kwazulu Natal. Il écrit actuellement un livre sur le roi Shaka. Maxwell Zakhele Shamase est également chargé de cours et chef de département au département d'histoire de l'université de Zululand, également connue sous le nom d'université d'Unizulu.
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Les professeurs Doulaye Konaté, Christopher Ogbogbo et Lily Mafela ont contribué à ce récit qui fait partie de la série "Racines d'Afrique". Une série de la Deutsche Welle, en coopération avec la Fondation Gerda Henkel.