Sur les traces de Heinrich Barth
30 décembre 2015Le 25 novembre 2015, on célébrait les 150 ans de la mort d’Heinrich Barth, un scientifique allemand, pionnier dans l’exploration du continent africain au 19èmesiècle. L'occasion pour le Musée Rautenstrauch-Joest de Colognede revenir sur ce personnage surprenant et mal connu lors d'une conférence. Un reportage de Juliette Gramaglia.
Il n'a pas vraiment une tête d'explorateur, Heinrich Barth: "Il a l’air d’un dandy", note Moustapha Diallo. "Il n’a pas l’air de quelqu’un qui voudrait aller à l’aventure. Bon, il a une sorte de smoking, je ne sais pas si c’est comme ça qu’on l’appelle, une cravate – comment ça s’appelle - un nœud papillon. Il est bien habillé, comme un aristocrate. On ne penserait pas qu’il était explorateur." Moustapha Diallo a grandi au Sénégal, avant de venir étudier en Autriche. Aujourd’hui, il est auteur et traducteur en Allemagne. Il se souvient avoir étudié les grands explorateurs à l’école. Et Heinrich Barth en faisait partie.
Né en 1821 dans une famille aisée, il a étudié l’histoire antique et les langues à Berlin, avant de partir explorer l’Afrique. D’abord en 1845, où il a visité le nord du continent. Puis entre 1850 et 1855, où sa passion l’a poussé à participer à une expédition britannique à destination du lac Tchad. En cinq ans, il parcourt près de 20 000 km, parfois au péril de sa vie. Il sera d'ailleurs le seul à rentrer d’une expédition aussi longue et périlleuse. Ses compagnons sont tous morts au cours du voyage.
À l’époque, on était au tout début de l’ère coloniale, et l’expédition avait pour but premier d’étudier les possibilités économiques de la région. Heinrich Barth, lui, y allait en tant que scientifique : des peintures rupestres, aux manuscrits de Tombouctou en passant par l’histoire, les traditions et les multiples langues de la région, Heinrich Barth était un chercheur multidisciplinaire. Il avait déjà appris l’arabe à l’université et il est rentré de son expédition avec des bases en Haussa, Kanuri, Songhai et Fulani. Ses recherches l’ont aussi poussé à s’opposer aux théories dominantes de l’époque. C’est ce qu’explique le Professeur Klaus Schneider, directeur du Musée Rautenstrauch-Joest à Cologne et membre de l'Institut Barth à l'Université de Cologne : "Il était effectivement une sorte de combattant solitaire dans ce domaine. Son approche n’était pas celle des autres chercheurs. L’Afrique et les cultures africaines étaient pour lui au même niveau, avaient la même valeur que l’Europe et que la culture européenne. Il entrait en contact avec les gens avec le plus grand respect. Et il en recevait autant en retour. Il a été le premier à dire : « l’Afrique a une histoire importante, comme l’Europe. » Et ce n’était du tout la doctrine de l’époque."
C’est ce respect pour les cultures africaines et leur histoire qui lui a fait gagner l’amitié du Cheik Al-Baqqai de Tombouctou. Barth est resté près de six mois dans cette ville pour y étudier les manuscrits de la bibliothèque. De ce long voyage en Afrique de l’Ouest, Barth a tiré un récit de 3500 pages, publié en anglais et en allemand. Un ouvrage décisif mais qui a cependant eu peu d'écho en Europe.
"Ce n’était pas une expédition allemande, donc on en a moins parlé", rappelle Klaus Schneider. "Son œuvre en 5 tomes est certes d’une importance capitale dans le domaine scientifique, mais presque personne ne l’a lue. Quand on lit les premiers passages, les 2, 300 premières pages, on a très vite envie d’arrêter. C’est tellement difficile à lire, c’est archi-sec, du coup il faut bien l’avouer : Il n’a pas su trouver le bon ton pour diffuser ses résultats de manière appropriée."
Heinrich Barth meurt subitement à l'âge de 44 ans en 1865 et ses recherches tombent pendant une longue période dans l'oubli. Redécouvert au milieu du XXème siècle par les scientifiques, il est aujourd'hui considéré comme un pionnier de la recherche sur l'Afrique et comme l'un des rares explorateurs du XIXème siècle à avoir abordé le continent sans préjugé et en s'engageant pour un dialogue interculturel, par exemple avec les représentants de l'islam africain. A Tombouctou, la maison dans laquelle il a habité est, elle, devenue un musée.