Le combat désespéré de Fadoul Saleh, un éleveur tchadien
28 octobre 2024Toute sa vie, Fadoul Saleh a suivi la tradition des bergers nomades, se déplaçant au rythme des saisons pour trouver des pâturages pour son bétail. Au début de l’année, il avait plus de 100 vaches.
Mais aujourd'hui, sa vie est bouleversée par des événements climatiques extrêmes. "Rien que cette année, la sécheresse m'a fait perdre 70 têtes de bétail", confie-t-il, assis à l'ombre d'un arbuste, aux abords de N'Djamena, sur la voie menant à Moundou.
Ses traits sont marqués par l'épuisement. Ses yeux fixent un troupeau de vaches non loin de lui, mais aucun des animaux ne lui appartient.
Comme des milliers d'autres, cet éleveur originaire de Kadar, non loin d’Abéché, dans l’est du Tchad, est pris au piège du changement climatique, luttant pour survivre dans un environnement de plus en plus hostile.
Des inondations dévastatrices
Les premières pluies de la saison, qui auraient dû lui apporter un peu d’espoir et le soulager, se sont transformées en cauchemar. Des inondations dévastatrices ont emporté les 35 dernières vaches qui représentaient tout ce qu'il possédait.
"C’est la désolation", murmure Saleh. "C’était un matin, il faisait encore sombre. Les inondations ont emporté le reste de mes animaux, et même dans ma famille, nous avons perdu des proches. Les eaux ont tout emporté, des camions aux arbres."
Le père de famille de cinq enfants n’a plus de quoi survivre. Le Tchad, comme l'ensemble de la région sahélienne, est en proie à des pluies diluviennes entraînant des inondations prolongées. Et le pays n’est pas encore sorti d'affaire.
Ce 4 octobre 2024, le fleuve Chari, qui traverse la capitale et une bonne partie du pays, a atteint huit mètres dans la capitale, un niveau inédit, gonflé par les importantes précipitations qui s'abattent sur le pays.
Alors que les inondations ont déjà fait près de 600 morts et affecté près de deux millions de personnes, la capitale N'Djamena fait désormais face aux crues fluviales.
Saleh se souvient que les périodes de fortes chaleurs ont souvent été suivies par des pluies violentes. "Mais cette année est exceptionnelle", explique-t-il.
Une année marquée par des vagues de chaleur
En effet, entre février et avril, des températures de plus de 45°C ont été enregistrées, réduisant à néant les maigres ressources naturelles. Saleh n’est pas le seul à souffrir. Comme lui, de nombreux éleveurs se battent pour survivre dans un environnement où l’eau et les pâturages se font plus rares à cause des sécheresses prolongées.
"Nos zones pastorales sont vastes, mais elles sont dégradées, et il y a un manque cruel d'eau. Nous sommes contraints de nous déplacer sans cesse", explique-t-il avant d'ajouter qu'"Il y a trop de pression, trop de bétail pour des ressources limitées."
La pression sur les ressources s’intensifie, avec une population de bétail passée de 18 millions à 140 millions de têtes en 30 ans, entraînant une concurrence féroce pour les pâturages. Des chiffres fournis par le gouvernement tchadien et le projet Accept, soutenu par l’Union européenne, qui entend contribuer au renforcement de la résilience des pasteurs et agro-pasteurs.
Or, selon un rapport de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), datant de mai 2024, jusqu’à 50 % des pâturages sont dégradés, mettant en péril un sixième de l’approvisionnement alimentaire de l’humanité et un tiers du réservoir de carbone de la Terre.
"Pour les éleveurs qui dépendent directement de la survie de leurs bêtes, si le bétail est emporté, c’est un désastre et cela coupe les moyens de subsistance. C’est une tragédie, c’est clair", a fait remarquer Laca Berinni, responsable du programme pastoral pour la GIZ au Tchad, l’agence allemande de coopération internationale pour le développement.
Une nouvelle étude des scientifiques du réseau World Weather Attribution (WWA) souligne que le changement climatique a non seulement aggravé la sécheresse en début d’année, mais aurait également rendu les dernières pluies de 5% à 20% plus intenses dans les bassins du Niger et du lac Tchad.
Conflits avec les agriculteurs et les nouveaux éleveurs
La chaleur, la sécheresse et maintenant les inondations exacerbent les conflits entre agriculteurs et éleveurs. Les troupeaux, en quête de pâturages, s’aventurent souvent sur les terres cultivées, déclenchant des tensions parfois violentes avec les agriculteurs.
"Nous sommes toujours en confrontation avec eux", admet le pasteur. Saleh a toujours été un homme résilient, perpétuant un mode de vie ancestral. Mais aujourd'hui, il est forcé d'admettre que les éleveurs comme lui sont pris dans un cercle vicieux. "Avec le changement climatique, tout devient plus difficile", raconte-t-il. Il évoque également un autre problème : l’arrivée des "nouveaux éleveurs", ces riches qui accaparent les terres et les ressources en eau. "Ils clôturent de grands espaces, mettant à mal notre mode de vie. Nous, les petits éleveurs, devons survivre avec de maigres moyens."
Face à une nature de plus en plus hostile, Saleh, comme de nombreux autres éleveurs, se retrouve au bord du précipice. Il n'y a pas que le climat qui change, mais aussi la manière de vivre. Pour beaucoup, la transhumance n'est plus viable.
Les routes sont dangereuses à cause de la présence de groupes armés et les pâturages sont de plus en plus difficiles à atteindre. "Nous devons faire face à tout cela seuls, sans aucun soutien de nos autorités", conclut Saleh.
Le drame silencieux de Saleh est celui de milliers de bergers tchadiens, confrontés à la dure réalité du climat et à un manque criant de soutien. Ils tentent tant bien que mal de s’adapter, mais ils ne savent pas pour combien de temps encore.