Que cherche la Hongrie au Tchad ?
4 avril 2024On n'offenserait probablement pas les Tchadiens ou les Hongrois si l'on disait que beaucoup d'entre eux ne trouveraient pas si facilement l’emplacement géographique de leur pays réciproque sur la carte du monde.
Ce n'est pas étonnant, puisque la Hongrie, un petit pays en Europe centrale, et le Tchad, un Etat sahélien immense, mais beaucoup moins peuplé, n'ont jusqu'à présent que peu de relations bilatérales.
La Hongrie n'a même pas de mission diplomatique au Tchad, et c'est pareil dans l'autre sens. Et pourtant, c'est le pays de Victor Orban qui veut aider le Tchad à se stabiliser en envoyant 200 soldats au Tchad, ainsi que de l'aide au développement et humanitaire. Les relations se sont intensifiées depuis l’automne dernier.
L’Etat stable de la région
Au début de l'année, l'organisation étatique hongroise, Hungary Helps, a ouvert son premier bureau de représentation en Afrique, à N'Djamena, au Tchad.
En octobre dernier, le ministre hongrois de la Défense, Kristóf Szalay-Bobrovniczky, a salué le Tchad comme « le seul Etat stable de la région » et a mis en garde contre les conséquences d'une déstabilisation.
"La région a connu une augmentation des activités terroristes au cours des dernières semaines et des derniers mois, et le Tchad est le seul Etat stable de la région, accueillant un grand nombre de réfugiés en provenance d'autres pays africains. Si le Tchad devient également instable, nous pourrions assister à un flot migratoire qui pourrait en envoyer des centaines de millions supplémentaires vers l’Europe", a déclaré le ministre hongrois.
Aujourd’hui, parler de « centaines de millions » est largement exagéré. Néanmoins, avec environ 1,1 million de réfugiés, le Tchad a accueilli plus de réfugiés que tout autre pays africain par rapport à ses 18 millions d'habitants.
La moitié d'entre eux vient du Soudan voisin, où des unités militaires rivales se battent depuis 11 mois et forcent davantage de personnes à fuir le pays.
Quid de la mission militaire
Si la mission civile a le potentiel d'apporter une contribution significative au pays, celle militaire soulève cependant beaucoup de questions, estime András Rácz, chercheur auprès au Conseil allemand des relations extérieures.
"Je ne pense pas que quelqu’un puisse de façon réaliste s'attendre à ce qu'avec 200 hommes, il soit possible de changer quoi que ce soit dans un pays de 1,2 million de kilomètres carrés. Donc, cette mission n'a fondamentalement aucune chance d'aboutir à un changement significatif."
Outre la situation des réfugiés, il existe d'autres problèmes liés à la politique intérieure qui menacent l’instabilité du pays. Des élections sont prévues au Tchad début mai.
La situation sécuritaire s'est encore détériorée depuis le meurtre d'un homme politique de l'opposition il y a deux semaines. Les observateurs craignent que le président par intérim, Mahamat Déby, ne transforme le Tchad en une dictature.
Jusqu'à présent, Mahamat Déby – contrairement aux putschistes du Niger, du Mali et du Burkina Faso – est considéré comme un allié fidèle de l’Occident, y compris de l’ancienne puissance coloniale, la France.
Le Tchad, un pays stratégique
Le Tchad reste néanmoins un pays central dans les intérêts géopolitiques de Paris, de Budapest et de Bruxelles, estime Ulf Laessing, responsable des projets Sahels à la Fondation allemande Konrad Adenauer.
"Le Tchad est vraiment un point sensible pour les Européens. Certains Etats membres comme la France et la Hongrie soutiennent le pays malgré les nombreux déficits dans le domaine démocratique et des droits de l'homme. Alors que les mêmes pays comme la France sont très critiques vis-à-vis du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Au sujet des critiques formulées à l'encontre des gouvernements militaires, vous n'entendez rien concernant le Tchad", a souligné Ulf Laessing.
Mais pour le politologue tchadien Evariste Ngarlem Toldé, la Hongrie avec cette mission n'a en tête que ses propres intérêts.
"La présence hongroise au Tchad s'explique facilement par la volonté de la Hongrie de réduire le nombre de réfugiés que lui impose l'Union européenne", a-t-il expliqué.
Quelques formalités bilatérales font encore obstacle au démarrage de la mission hongroise. On ne sait donc pas si l'opération débutera avant ou après le scrutin du 6 mai 2024.
Quoi qu’il en soit, ce serait la première fois que la Hongrie enverrait des unités entières en Afrique pour une mission militaire – et sans mandat international.