Il est rouge, il est beau et il sillonne la Tunisie pour rendre le cinéma accessible à tous, des zones rurales aux quartiers déshérités : c'est le CinemaTdour, un camion-cinéma itinérant et c'est la seconde partie de ce magazine !
Dans un coin de la pièce où nous nous trouvons, une imprimante ne cesse de vibrer. Une à une les feuilles sortent ... une commande de 400 exemplaires occupe Martin Lukongo. Il est à la tête de NNP - une soicété spécialisée en production multimédia basée dans la ville de Goma dans l'est de la République démocratique du Congo.
Une région dont nous parlons quasi quotidiennement sur notre antenne - le plus souvent c'est pour relater les affrontements et les atrocités qui s'y déroulent - le manque de perspectives aussi. Et non pour parler de production littéraire.
Ici, la lecture est un luxe, jugé presque futile pour certains.
Avec son imprimante, Martin Lukongo fait partie d'un collectif qui a entrepris de réconcilier les jeunes avec les livres en les produisant à Goma. Malgré les coupures d'électricité et le manque de papier de qualité, ce photographe de métier arrive à imprimer une soixantaine d'exemplaires par jour !
O-Ton Martin Lukongo : "Pouvoir donner la qualité ici localement et avoir quelque chose de, à un bon prix, je veux dire. Et c'est ce qui m'a poussé aussi l'envie de voir que les jeunes ils sont motivés à pouvoir lire actuellement et qu'il y a des maisons d'édition qui sont en train de se lancer, ils sont en train d'évoluer, et je me suis dit ça serait l'occasion de pouvoir avoir notre imprimerie ici sur place et lancer ces activités. "
Goma compte quelques librairies mais les acheteurs sont rares : le prix des livres importés d'Europe oscille habituellement entre 20 et 60 dollars.
Un prix rédhibitoire pour les jeunes et qui a poussé un collectif d'artistes et d'activistes à lancer une cagnotte en ligne pour financer la création, il y a un an et demi, de la maison d'édition Mlimani. L'un de ses fondateurs s'appelle Depaul Bakulu :
O-Ton Depaul Bakulu : "Beaucoup d'auteurs congolais se font rééditer en Europe et ça crée un grand besoin parce que les livres sont très chers ici. Et du coup nous on s'était rendus compte de cette difficulté et on s'était dire qu'il fallait qu'on agisse. Le constat était aussi que par exemple y a pas de promotion des livres ici différemment des promotions des bières et nous grâce à toutes ces indignations, on s'était dit qu'il fallait qu'on s'organise et qu'on agisse, et c'est dans ce sens qu'on a créé les éditions Mlimani."
La maison d'édition congolaise s'est ainsi spécialisées dans l'édition et la re-édition locale de classiques africains qu'elle propose à des prix abordables - entre 5 et 10 dollars.
Le calogue Mlimani compte déjà une dizaine d'auteurs : connus comme Frantz Fanon avec "Les damnés de la terre" ou le prix Nobel Denis Mukwege avec "La force des femmes" mais aussi moins célèbres. Romanciers, chercheurs ou essayistes - la majorité d'entre eux sont congolais ou congolaises.
Pour Depaul Bakulu, le problème ne vient pas du fait que ses compatriotes ne lisent pas. Le problème est que l'offre n'est pas adaptée : trop cher et trop loin de leur réalité. Sur son site, la maison Mlimani explique que s'il y avait plus de livres de poche, à un prix abordable et qui parlaient de sujets du pays, distribués dans des points de vente à proximité, la situation serait tout autre. Ce sont ces différents aspects que la jeune maison d'édition qui est présente de Bunia à Beni en passant par Bukavu, Butembo mais aussi Kinshasa et Lumbumbashi, souhaite relever.
Atmo : club de lecture
Les livres édités par Mlimani sont donc distribués dans la plupart des grandes villes du Congo via un réseau de partenaires, qui vont chercher les lecteurs dans les écoles et les centres culturels, en y animant des séances de lecture collective.
Atmo : club de lecture hoch
Aujourd'hui, ils sont une douzaine de curieux réunis dans un centre associatif du centre-ville de Goma pour débattre de l'une des dernières publications Mlimani: "L'histoire générale du Congo" par l'historien congolais Isidore Ndaywel E Nziem.
Victor Ngizwe, un étudiant qui anime l'atelier explique de quoi il retourne :
O-Ton Victor Ngizwe : "C'est pas seulement de la curiosité intellectuelle, c'est d'abord la prise de conscience, parce que on ne lit pas n'importe quel livre, on lit des livres qui nous mettent face à nos réalités. Ce sont donc des livres qui peuvent nous pousser à prendre conscience et voir comment on peut agir pour changer les choses."
Avec lui dans la salle, une majorité de jeunes hommes qui se décrivent comme engagés et qui espèrent trouver des outils intellectuels pour faire avancer leur pays plongé dans des conflits depuis des décennies.
L'évocation des grandes pages de l'histoire du Congo par deux volontaires ne tarde pas à animer les débats. Une histoire majoritairement écrite par des auteurs étrangers, dans des livres publiés et vendus à l'étranger. Et rarement transmis aux nouvelles générations, note Frank Amak, un autre étudiant venu assister à la réunion :
O-Ton Frank Amak : "On se rend compte que le Congolais, ce n'est pas qu'il ne lit pas mais en fait, il veut trouver un livre qui correspond à son image, qui correspond à son histoire. C'est ainsi qu'on a vu mieux résoudre cela au travers d'un prix abordable et aussi chercher des livres qui parlent en fait de l'homme congolais ou disons en général de l'homme noir."
Dans les traces de Mlimani, d'autres projets de maisons d'éditions locales sont apparus récemment. Un encouragement pour les écrivains ... et pour leurs jeunes lecteurs.
Vous écoutez Pulsations sur les ondes de la Dédoublevé et The Raiders March, extrait de la bande originale du film Indiana Jones !
Musik : The Raiders March / Archiv Nummer : 4034042000
Atmo femmes
Des dizaines d'ouvrières et ouvriers descendent joyeusement d'un gros camion rouge, stationnés devant l'usine Dräxlmaier, à Djemmal, ville du centre-est de la Tunisie, loin des grandes métropoles.
Amine Elhani, 23 ans, est stagiaire en mécatronique. Il vient d'aller pour la toute première fois au cinéma !
O-Ton Elhani : "Le cinéma me passionne ... à la maison, je regarde souvent des films sur mon téléphone ou mon ordinateur mais je n'ai jamais eu l'occasion d'aller au cinéma. C'est vraiment une belle expérience... L'écran est plus grand. Les effets sonores sont superbes. Et puis c'est aussi chouette d'y aller entre amis. Vraiment, merci à CinémaTdour, c'est une idée géniale."
Atmo camion
Une idée qui se matérialise dans un remorqueur de 38 tonnes contenant une vraie salle, insonorisée, climatisée avec une centaine de fauteuils rouges, confortables à souhait. Le CinemaTdour - ou le cinéma qui tourne - a été lancé en mai dernier par le réseau privé d'espaces culturels Agora et l'association Focus Gabès, avec l'appui de discrets mécènes. Objectif : palier au manque de cinémas en Tunisie : le pays n'en compte que 15 - la grande majorité d'entre eux se trouvent à Tunis, la capitale. Il y en a aussi un à Bizerte dans le nort, un à Sousse dans le centre et un à Djerba dans le sud.
Ghofrane Heraghi est la directrice du projet.
O-Ton Ghofrane Heraghi "On a essayé de trouver une autre solution pour promouvoir l’art, spécialement le cinéma, pour pouvoir atteindre un grand nombre de spectateurs en peu de temps et avec peu de moyens. Donc, on a commencé les recherches, on a trouvé que ce beau projet existe en France depuis une trentaine d’années. Donc, on s’est dit que ça répond réellement à un besoin, où du moment que c’est singulier, c’est unique et c’est mobile. Ça va vraiment nous aider à atteindre notre objectif et à faire vivre à un maximum de personnes cette expérience cinématographique."
La clef du succès : un partenariat original entre entreprises et le CinemaTdour qui ne bénéficie d'aucune aide publique. Mais qui doit évidemment recevoir des fonds : le camion a été acheté à crédit pour l'équivalent de 300.000 euros et les frais d'exploitation - droits des films, entretien, personnel notamment - s'élèvent à 150.000 euros par an.
A Djemmal aujourd'hui, les entrées sont gratuites pendant 10 jours pour les employés de l'usine Dräxlmaier, leurs familles et leurs amis mais aussi la ville et la région de Monastir. L'entreprise allemande entend ainsi contribuer au développement des quatre régions dans lequel elle est installée ... Jihene Ben Amor est le responsable local de la communication :
O-Ton Jihene Ben Amor "On offre 10 jours de cinéma gratuit pour toute la population. C’est comme ça que nous prouvons que nous sommes un partenaire solide dans les régions où nous sommes implantés. On donne cette opportunité à tout le monde, et nous contribuons au développement des régions que ce soit à travers la culture ou bien à travers l’éducation. C’est à tous les niveaux."
Pour des ouvriers gagnant entre 600 et 1.000 dinars par mois, soit l'équivalent de 180 à 300 euros, aller au cinéma en famille - surtout lorsqu'il faut faire en plus de la route - relève de l'impossible.
Atmo enfants
Après Djemmal, le camion du CinemaTdour débarque à Hay Hlel (Haich Hiè), un quartier de 10.000 habitants, proche du centre-ville de Tunis mais marginalisé avec des records de pauvreté, un fort taux de chômage et de la délinquance.
O-Ton Nejiba El Hadji : "Ici à Hay Hlel, les habitants n'ont rien de rien ! Il n'y a pas de centre culturel. Il n'y a que la rue et la lagune. On dit que nos enfants sont perdus !"
... raconte Nejiba El Hadji, femme au foyer de 47 ans, emmène ses quatre enfant au cinéma ...
O-Ton Nejiba El Hadji : "Normalement, c'est impossible pour moi d'emmener mes quatre enfants au cinéma ! Mais avec CinemaTdour, je me suis dit, tiens je vais les emmener ! C'est une bonne chose pour eux et pour moi aussi... ce ne sont pas seulement les gosses qui vont être heureux, croyez-moi ! Nous allons voir quelque chose de nouveau, ce n'est pas rien, surtout ici"
A Hay Hlel, c'est l'Organisation mondiale de la Santé qui prend en charge quinze jours de projection de films grands publics mais aussi de débats axés sur la santé mentale, le tabac, la drogue ou encore les violences contre les femmes. Car pour la directrice du projet CinemaTdour, c'est aussi cela le cinéma ... Ghofrane Heraghi :
O-Ton Ghofrane Heraghi : "Ce qui nous donne vraiment la force et ce qui nous motive pour mettre en place des projets pareils, c’est vraiment l’impact social de la culture. C’est vraiment pouvoir casser des stéréotypes, pouvoir valoriser aussi des initiatives et pouvoir vraiment changer les mentalités et partager des valeurs et des principes, de la cohésion sociale et du vivre-ensemble. Nous méritons de vivre des moments magnifiques, et nous méritons de vivre des expériences uniques et de partager toutes ces émotions avec les proches, les amis, la famille."
Notez que CinemaTdour s'appuie sur des équipes locales, chargées d'organiser les visites, préparer les camions, gérer les projections - l'idée étant de valoriser les habitants et de susciter même peut-être des vocations.
Pour l'avenir, CinemaTdour cherche des fonds pour acheter d'autres camions et créer un rendez-vous régulier dans chaque région de la Tunisie ... ou pourquoi pas ... exporter le concept ailleurs en Afrique !