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Etat de droitGabon

"Le Gabon revient à un système d'il y a 30 ans"

2 septembre 2024

Interview avec le journaliste gabonais Jocksy Ondo Louemba, très critique vis-à-vis des autorités militaires quelques semaines avant le référendum constitutionnel.

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Portrait en uniforme du général Brice Oligui Nguema, à la tête du Gabon
Portrait en uniforme du général Brice Oligui Nguema, à la tête du GabonImage : AFP/Getty Images

Samedi (31.08), un projet de nouvelle Constitution a été soumis à Brice Oligui Nguema, le général à la tête du Gabon.

Pour l'heure, le texte intégral, qui doit être soumis à la population par référendum, n'a pas été publié, mais certaines dispositions ont filtré.

Parmi elles : l'amnistie pour les putschistes qui seront déclarés "héros de la nation", la nécessité pour les candidats à la présidentielle d'avoir deux parents gabonais, l'introduction du septennat présidentiel renouvelable une seule fois. Et la possibilité, pour le chef de l'Etat, d'être accusé de haute trahison s'il venait à briguer un troisième mandat.

Mais le journaliste gabonais Jocksy Ondo Louemba, très critique envers les autorités militaires en place depuis un an, comme il l'était auparavant vis-à-vis de l'ancien président Ali Bongo, ne pense pas que ce dernier point soit une garantie démocratique.

Ecoutez ci-contre l'etretien avec Jocksy Ondo Louemba :

"Au Gabon, on n'a jamais respecté les règles de la démocratie" (Jocksy Ondo Louemba)

DW : Jocksy Ondo Louemba, vous avez signé un article dans Mondafrique dans lequel vous dénoncez les dérives autocratiques de Brice Oligui Nguema, qui est au pouvoir maintenant depuis un an au Gabon. Quels sont les signes et les manifestations de ces dérives qui vous ont fait tiquer?

Outre le fait qu'il ait le pouvoir absolu ? Il a d'ailleurs été surnommé Brice le Tout-Puissant, c'est dire. Il a le pouvoir, il nomme tout le monde.

Le Parlement gabonais est un Parlement qui a été nommé par lui. Même le fameux dialogue prétendument inclusif... toutes les personnes qui ont pris part à ce dialogue ont été nommées par lui.

Et aussi, et peut être même surtout, c'est qu'on assiste à un culte de la personnalité d'un autre temps, avec ces images partout, avec des slogans partout. Par exemple lui c'est « C’BON », donc Brice Oligui Nguema « B.O.N »,  un jeu de mots pour dire qu'il est vraiment très bon, très doux pour le peuple.

Et il y a aussi cette image de lui dans le ciel de Libreville avec des drones, ça rappelle carrément Mobutu qui sortait des nuages à Télé Zaïre et qui avait été fait par [Dominique] Sakombi. Donc oui, là, clairement, il y a un culte de la personnalité qui est visible à Libreville. Sans compter les manifestations, les T-shirts, les gadgets à son effigie…

 

DW : Et le surnom aussi, « Josué le libérateur » ?

 Il n'y a pas que Josué.... Josué, c'est le moins bon. Josué, c'est un prophète d'Israël, mais lui, il est décrit par ses partisans comme le Messie !

Sans oublier qu'il a dit que je suis le Charles de Gaulle gabonais. Il a dit qu'il était Sankara, Rawlings. En fait, on sait pas, il essaie d'être tout le monde et n'importe qui.

 

DW : Finalement, vous critiquez aussi le bilan parce que la vie des Gabonais ne s'est pas améliorée, selon vous, durant cette année?

Ce n'est pas selon moi, c'est selon les observateurs qui étaient sur place.

On va prendre le cas de la santé. Les évacuations sanitaires, par exemple au Maroc, sont problématiques parce que il y a une très grosse dette de ce côté-là . Du côté de la Turquie également ; les hôpitaux turcs ne prennent plus les évacués sanitaires du Gabon.

Du côté de l'offre de soins proposée par l'assurance maladie, c'est toujours comme avant, sinon pire dans les hôpitaux. C'est toujours ceux qui ont de l'argent qui peuvent se faire soigner.

Rien n'a véritablement changé du point de vue social, et le taux de chômage est toujours très inquiétant.

Enfin, aucun signe de renversement. Par contre, il y a du clientélisme, beaucoup de débauche d'argent dans ce dont je parlais tout à l'heure, les fameux drones dans le ciel avec son image... Il faut se demander combien ça coûte et surtout qui a payé ?


DW : Et comment se fait-il alors que l'opposition ne dise rien? La société civile, pas beaucoup…

L'opposition? Mais laquelle ? L'opposition à Ali Bongo a été achetée.

Il y a des personnalités qui essaient quand même de critiquer un peu. Il y a une opposition qui est en train de se mettre en place vis-à-vis justement des dérives des militaires. Mais l'opposition telle qu'on la connait, elle a disparu parce qu’ il a été question d'acheter tout le monde.

DW : Les autorités en place au Gabon envisagent de soumettre à référendum à la population un projet de nouvelle constitution. Pour le moment, on n'a pas lu ce texte, mais certains points ont déjà filtré, notamment la suppression du poste de Premier ministre, la consécration du régime présidentiel avec un septennat renouvelable une fois. Il y a un point qui dit que le chef de l'Etat pourrait se rendrait coupable de haute trahison s'il essayait de déroger à la loi et de briguer un autre mandat ou un troisième mandat, est-ce que ça, ce n'est pas un point positif?

Non, ce n'est pas un point positif parce que de toutes les façons, le problème qu'on a au Gabon, c'est qu'on n'a jamais respecté les lois. Or la démocratie commence par-là : la démocratie, c'est le respect des règles. On n'a jamais respecté les règles.

Je vous rappelle que lui-même a dit qu'il allait rendre le pouvoir aux civils. Aujourd'hui, on assiste quand même à des appels à candidatures venant notamment d'officiers de l'armée. Récemment, lors de sa « tournée républicaine » dans l'Estuaire, il y a un général qui lui a demandé d'être candidat !

Regardez l'organisation des élections, elle est entre les mains du ministère de l'Intérieur. On est revenu à un système il y a 30 ans, où le ministère de l'Intérieur est le seul garant des élections, où d'ailleurs celui qui dit qu'il a gagné, qui dira qu'il va gagner en 2025, n'aura pas la capacité de le prouver. Et celui qui dira qui voudra contester n'aura pas les moyens de le faire.

 

DW : Donc même la possibilité de contrôle par le Parlement, sénateurs et députés, du chef de l'Etat qui pourraient destituer dans certains cas, ça vous, vous n'y croyez pas non plus comme une possibilité d'équilibre?

Non. Puisque de toutes les façons, actuellement, c'est lui qui a nommé tous les députés et plus tard, comme disait Joseph Staline, ce qui compte ce n'est pas le vote, c'est comment on compte les votes.

Si l'élection en elle-même n'est pas transparente, tous les députés qui sortiront de là seront des gens qui seront «  élus » par lui. Il n'y a aucune raison de croire qu'ils appliqueront tout ça. C'est cosmétique tout ça, c'est cosmétique.

 

DW : Il y a une mesure qui sera peut-être appliquée. C'est celle qui prévoit une amnistie pour les militaires putschistes et qui veut en faire des héros nationaux. Qu'est-ce que ça veut dire?

C'est de L'auto-proclamation et de l'autoprotection. S

Pourquoi décider une amnistie pour eux s'ils pensent qu'ils n'ont rien fait?

Et pourquoi s'autoproclamer héros? Enfin, on ne s'autoproclame pas héros ! Ce sont les gens que vous avez sauvés qui voient en vous un caractère héroïque.

On voit qu'ils essaient de créer un narratif, une sorte de dimension historique, de légitimité pour en faire un fonds de commerce en disant : « De toutes les façons, c'est nous qui vous avons libérés. On doit rester là ». Mais je pense que s'il aimait vraiment les Gabonais comme il le prétend, il devrait permettre aux Gabonais de choisir librement leurs dirigeants.

 

DW : Et les réactions des partenaires du Gabon à l'international ? On entend beaucoup en Afrique de l'Ouest que c'est un pays qui a été moins critiqué pour son coup d'Etat que les pays de l‘AES, par exemple (Burkina Faso, Niger, Mali).

Je pense que ça n'a rien à voir. Je pense que le problème, il ne faut pas le voir chez les partenaires.

 Je vais citer Emmanuel Macron qui a dit : « N'accusez pas la France pour des choses qui dépendent de vous ». Mais le vrai problème aujourd'hui, ce n'est pas un problème franco-gabonais c'est un problème gabono-gabonais.

C'est-à-dire : quelle est sa responsabilité à lui, aujourd'hui, qui préside aux destinées du Gabon? Quelle est sa responsabilité à lui? Sa responsabilité, c'est de contribuer au bien-être de ses populations. Est-ce que c'est le cas? Je ne crois pas.

Même en termes d'injustice, on a toujours des escadrons de la mort qui sévissent au Gabon. Il y a des gens qui sont enlevés, identifiés par des militaires. C'est complètement inouï.

Donc moi, je pense que c'est un faux débat, c'est un faux problème. La responsabilité aujourd'hui, c'est d'aller dignement face aux Gabonais et les Gabonais face à lui. L’AES fait autre chose là-bas. Ils ont fait des choix, très bien. Le Gabon c'est différent et c’est tant mieux.