La Tunisie, potentiel "Rwanda" de l'UE pour les réfugiés ?
30 avril 2024Il y a quelques semaines, le Parlement européen a donné son feu vert à une réforme de la politique migratoire européenne qui doit entrer en vigueur en 2026.
Parallèlement, Bruxelles multiplie les accords avec les pays d'origine et de transit pour réduire le nombre d'arrivées d'exilés à ses frontières. Parmi ces pays figure la Tunisie, avec laquelle l'UE a conclu en juillet 2023 un accord de "partenariat stratégique" sur l'immigration.
Plus récemment, l'Italie a elle aussi signé trois accords bilatéraux avec Tunis sur le même sujet pour limiter les arrivées de migrants sur son territoire.
De nombreux abus commis lors des contrôles
En théorie, la Tunisie pourrait être un endroit privilégié pour accueillir des demandeurs d'asile déboutés par l'Union européenne. Dans l'enveloppe de plus d'un milliard d'euros du partenariat conclu en 2023 avec Bruxelles, 105 millions sont destinés à lutter contre la migration irrégulière.
Le partenariat semble déjà porter des fruits en matière de réduction des flux migratoires : selon l'Agence des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR), 16.000 personnes parties de Tunisie, d'Algérie et de Libye sont arrivées en Italie en avril, contre plus de 36.000 sur la même période en 2023. La marine tunisienne en a intercepté environ 21.000 autres avant qu'elles n'atteignent les eaux européennes.
En théorie, donc, les migrants refoulés pourraient trouver refuge en Tunisie, sur le même modèle que ceux refoulés par le Royaume-Uni au Rwanda. Mais pour Salsabil Chellali, directrice pour la Tunisie chez Human Rights Watch, la Tunisie est tout sauf un pays sûr pour les exilés.
"Aujourd'hui en Tunisie, les migrants, les demandeurs d'asile et les réfugiés sont confrontés à de graves abus de la part des forces de sécurité, y compris la Garde nationale et les garde-côtes, lors de leur interception en mer. Ils sont victimes de mauvais traitements, d'arrestations et de détentions arbitraires. Les autorités tunisiennes continuent également d'expulser collectivement les migrants et les demandeurs d'asile aux frontières avec la Libye et l'Algérie. C'est devenu une pratique régulière."
La Tunisie ne sera "jamais" un pays d'accueil selon Saïed
Début avril, le président tunisien Kaïs Saïed a réaffirmé lors d'une réunion sur la sécurité nationale que son pays ne deviendrait jamais un pays d'accueil pour les migrants "expulsés d'Europe".
Le chef de l'Etat tunisien n'en est pas à sa première sortie contre les exilés. En février 2023, ses propos racistes dénonçant "des hordes de migrants clandestins" avaient déclenché une vague de violence contre les migrants subsahariens.
Kelly Petillo, cheffe de projet pour l'Afrique du Nord au Conseil européen des relations étrangères, est elle aussi critique des accords de partenariat entre l'UE et la Tunisie.
"La seule chose que font ces accords est de porter atteinte aux droits des réfugiés et des migrants. Ils ne s'attaquent pas aux problèmes structurels ni aux causes profondes qui poussent ces personnes à entreprendre ces voyages périlleux. En outre, ils n'aident pas les pays comme la Tunisie à traiter ces arrivées."
Le pays ne dispose pas de lois nationales sur l'asile, ni même d'un système qui pourrait accorder un statut légal ou permettre aux personnes de travailler. Résultat : de nombreuses personnes se retrouvent sans ressources.
Actuellement, environ 12.000 réfugiés et demandeurs d'asile sont enregistrés par le HCR en Tunisie.